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Gérard Darmon “sur la vie de mon père”

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Gérard Darmon est chaleureux, attentif et disponible. Sa voix grave vous captive, son regard est profond malgré quelques cernes qui se font ressentir, la chevelure blanche d’un homme qui ne triche pas et le teint hâlé de ses origines. Il fait partie de ces artistes que plus rien n’impressionne mais qui eux vous fascinent par leur charisme et leur carrière… Rencontre avec l’acteur, l’écrivain enquêteur et surtout le fils d’Henri.

J’avais préparé des questions et je l’attendais avec un peu d’appréhension dans l’arrière boutique de la librairie « Le carré des mots » situé derrière la mairie de Toulon où une rencontre avec le public était organisée à l’occasion de la sortie de son livre : « Sur la vie de mon père ». Je m’étais installé et j’essayais d’imaginer, en attendant, comment cela allait se passer. Quand vous êtes en face d’une personnalité comme lui, vous avez envie de parler de tout. De savoir comment elle vit, ses vacances, sa famille, les secrets des tournages, ses rapports avec untel et sa vision de la vie… Mes questions je ne les ai pas posées, du moins pas comme prévu… L’interview se transforma immédiatement en conversation, un moment unique.

Il m’expliqua pourquoi il avait attendu 20 ans pour écrire cette biographie reconstituée comme il l’indique en sous-titre de ce premier ouvrage « Et sûrement mon dernier ». Vingt ans après le décès de ce père pas comme les autres, durant lesquelles Gérard Darmon aura recoller les morceaux du puzzle. « Le but n’étant pas comme toutes biographies de commencer par la naissance et d’aller jusqu’à la mort » mais bien d’évoquer le destin d’un homme, qui traversa le 20ème siècle entre débrouilles, voyoucratie et aventures.

Interview Gérard Darmon par Laurent Dutruch lors de son passage à Toulon - Limpact

Cette biographie c’est celle donc, de ce môme né en 1910, juif d’Algérie, plus précisément d’Oran qui s’appelait Henri Messaoud Darmon. Le coup de poing facile, la démerde comme meilleure amie, la tournée des bars de nuit. « Grandir dans la rue est une autre école de la vie ». Les petits boulots jusqu’aux voyous qui vous aiguillent sur les chemins de traverse. Et puis Henri s’engage dans un régiment de spahis, « L’élite de l’armée coloniale ». Il n’avait peur de rien le Henri, matricule 2426, l’arme aux poings sera surnommé « Trompes la Mort ». Je sens une grande fierté de la part de l’auteur de cet épisode militaire. Il est lancé, le récit du père le passionne, il ne se lasse pas d’en parler. Pour lui mais surtout pour ses enfants aussi « C’était important que je raconte cette histoire familiale, que je la transmette ». En 1932, Henri s’embarque ou plutôt s’enfuit vers Paris ou il s’installera. Un événement que Gérard Darmon ne nous dévoilera pas mais qui ne fait aucun doute pour lui : son père devait se cacher un certain temps. Certains rôles de l’acteur trouvent d’ailleurs leur inspiration auprès de ce père, voyou et bagarreur.

Dans les années 30, à Paris, c’est encore l’innocence avant la guerre. Henri se fait un surnom « Riquet de la Bastille », dans le quartier des Oranais. Il sera métallo, gigolo, un temps maquereau au grand cœur, « ce qui lui permettra de payer ses dettes ».
Et puis très vite fréquente le vrai milieu, le corse. Pour Gérard Darmon, son père est avant tout un autodidacte qui savait se sortir de toutes les mauvaises situations. « C’était ça son diplôme ». Pour lui le code d’honneur, la loyauté font loi. Cela ne l’empêchera pas de conquérir une femme de colonel. De cette maîtresse, il en retirera du bon temps et des bonnes manières. Les années 40 seront celles de la survie. Dénoncé à la gestapo dans le cadre des lois anti-juives, il y sera torturé. Il évitera ensuite la déportation et se fera même engager comme chauffeur de la Wehrmacht sur la base de Brétigny. A l’époque, connaître des truands collaborationnistes pouvait vous sauver, surtout en tant que juif. Il y exercera des actes de résistance et après-guerre réglera ses comptes avec son bourreau « gestapiste ». Pour Gérard Darmon « Cela ne fait aucun doute : il ne laissa pas l’homme se relever ». Henri n’en parlera jamais. « C’est de ces mystères que naît la curiosité »…

Gérard Darmon en séance photos improvisées avec Michel Février, Allianz Assurance - Limpact

« A l’âge de 35 ans, il retournera à Oran afin d’épouser ma mère ». Un mariage arrangé comme cela se faisait à l’époque. La famille, les amis étaient les premiers entremetteurs et la pression sociale faisait le reste. L’union durera néanmoins plus de 50 ans jusqu’à leur mort à quelques mois d’intervalle. Henri sera comme à l’image de ses années de jeunesse formatrices d’avant-guerre, absent et coureur de jupons. Marchand de vins et spiritueux, cela oblige forcément à fréquenter des endroits où l’on croise son passé pour, peut-être, ne jamais le quitter. « Les temps changent mais pas les hommes ».

Au travers du sujet qu’il nous propose, nous ressentons finalement l’importance d’être père à son tour. Quand on raconte la vie d’un autre, sa trajectoire, son caractère, on se compare obligatoirement à ce personnage et l’on se trouve des similitudes, des ressemblances. Encore plus dans la filiation. Il avoue s’en être servi de thérapie personnelle et s’être redécouvert lui-même. Gérard Darmon, aurait mille choses à reprocher à ce paternel si courageux et qui a pu défaillir à certains moments. « Tout n’est pas parfait dans la vie d’un homme, loin de là, mais parfois cela s’explique ». Il n’en garde pas d’amertume. Lui, père de 3 enfants, a l’intelligence de savoir que la présence d’un père n’est pas que physique. Aujourd’hui Henri fait partie de Gérard et il n’a peut-être jamais été aussi proche. Les hommes ont toujours aimé raconter des histoires d’hommes surtout quand il s’agit de celle de leur père. Son devoir de mémoire est accompli, nous ressentons de l’apaisement, de la sérénité.

Propos recueillis par Laurent Dutruch
Crédit photo : ©Yann Etesse

Filmographie de Gérard Darmon

Gérard Darmon se produit au café-théâtre durant presque dix ans. Il débute au cinéma en interprétant un sbire de Fares dans Les Aventures de Rabbi Jacob (1973) de Gérard Oury, mais c’est avec Diva (Jean-Jacques Beineix, 1980) et Le Grand Pardon (Alexandre Arcady, 1981) qu’il perce comme second rôle. En tête d’affiche de la comédie dramatique Les Princes en 1983, il alterne les genres, passant du film policier (On ne meurt que deux fois (1985) de Jacques Deray) à l’histoire d’amour tragique (37°2 le matin (id.) de Jean-Jacques Beineix) et au drame historique (Pour Sacha (1990) d’Alexandre Arcady). Outre ces deux derniers réalisateurs, il est fidèle à Claude Lelouch, qui le dirige dans Il y a des jours… et des lunes (1989), La Belle Histoire (1992) et Tout ça… pour ça ! (1993). Il incarne le commissaire Patrick Bialès dans La Cité de la peur (1993) et l’architecte Amonbofis dans Astérix et Obélix : mission Cléopâtre (2001) d’Alain Chabat. Collègue de Patrick Braoudé, amateur de lingerie fine, dans Amour et confusions (1997) ou petit malfrat dans Les Grandes bouches (1998), il campe un agent véreux de footballeur dans 3 zéros (2002), un gangster “rouillé” dans Les Parrains (2005), voire un notable homosexuel dans Pédale dure (2004).
Gérard Darmon aime jouer la carte de l’émotion : ainsi il incarne un homme qui remet en question son rapport immature aux femmes dans Le Coeur des hommes (2003) ou un père de famille trop protecteur dans Mariage mixte (2004), avant d’interpréter un cinquantenaire vouant un véritable culte à Charles Aznavour dans Emmenez-moi (2005). Après avoir tourné dans Le Coeur des hommes 2 aux côtés de Marc Lavoine, Gérard Darmon le retrouve à l’affiche de Celle que j’aime (2008) d’Elie Chouraqui. Il rejoint par la suite Jean-Paul Rouve et Maurice Barthélémy pour Low Cost (2011), une comédie réalisée par Maurice Barthélémy. Nos plus belles vacances (2012) de Philippe Lellouche, plus récemment Bis de Dominique Farrugia (2015) aux côtés de Kad Merad et Franck Dubosc et dans Robin des bois, la véritable histoire (2015) d’Anthony Marciano.

Bibliographie de Gérard Darmon
« Sur la vie de mon père » biographie reconstituée. Editions Michel Lafon