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Mathilde Seigner, médecin-chef à la santé ou le parcours d’une combattante

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Séverine apprend que son mari la trompe. Afin de s’en émanciper, elle décide de travailler et trouve un poste de médecin à la prison de la Santé. Là, elle va découvrir un monde qu’elle ne soupçonnait pas, de violence, de crasse, de promiscuité, d’injustice, de solitude… Des conditions de vie inacceptables, inhumaines, même pour des repris de justice.
Révoltée, elle écrit chaque jour ce qu’elle voit et vit et elle décide de monter au créneau, ce qui ne sera pas une petite affaire : être une femme dans un monde d’hommes, faire bouger les instances politiques et de justice… Par un prisonnier qui fut une figure politique, elle fait passer ses écrits qui sont édités. Aussitôt la presse s’enflamme et même si elle est de son côté, les hautes instances ne l’entendent pas ainsi. Ainsi commence un combat dont elle sortira meurtrie, sans illusions mais grandie et elle aura fait – un peu – bouger les choses.
Ce film est tiré des vrais écrits de Véronique Vasseur, médecin-chef à la Santé, qui n’est autre que la tante de Mathilde Seigner. Yves Rénier, ami de Mathilde, a décidé d’en faire un film, le scénario étant écrit par Jean-Luc Estèbe et Véronique Vasseur elle-même.
Un superbe portrait de femme servi par Mathilde Seigner à qui ce rôle va comme un gant, même s’il y manque un brin d’émotion mais on l’y retrouve dans cette façon d’agir, à fleur de peau, grande gueule, ayant à cœur de combattre l’injustice. On y découvre aussi un monde carcéral en piteux état et Yves Rénier, en dehors du fait qu’il nous offre un beau portrait de femme, a su montrer cette violence qui sourde à tout moment dans ce monde d’enfermement dans des conditions d’hygiène lamentables.

Véronique Vasseur, parlez-nous de ce livre et comment s’est fait ce film ?
Le livre est sorti en 2000 mais au départ, j’écrivais au jour le jour ce que je voyais. Les circonstances ont fait que ces notes sont devenues un livre et qu’alors tout a explosé. Un projet de film s’est très vite dessiné, où Emmanuelle Béart devait tenir le rôle. Mais, pour des raisons politiques – nous avons eu un veto du ministère de la Justice – et la sortie du livre étant trop proche, cela ne s’est pas fait.

Et vous, Yves, comment avez-vous pu y arriver ?
Au départ, il y avait une envie de Mathilde et moi de travailler ensemble car nous sommes amis de longue date. Lorsqu’elle m’a fait lire le livre de sa tante, j’ai trouvé qu’il y avait là un rôle formidable pour elle. Cela semblait malgré tout difficile d’en faire un film pour le cinéma. C’est elle qui m’a dit un jour : Et pourquoi pas la télé ? Je ne vous cache pas que ça a malgré tout été très difficile à monter mais grâce à elle, France 2 a décidé  de le produire avec Capa Drama Productions.

Yves Rénier

Y a-t-il eu des pressions ?
Pas vraiment, des frilosités peut-être car même si l’on m’a demandé que je date le film dix ans auparavant pour le remettre dans le contexte de l’époque, rien n’a vraiment changé depuis.
La seule chose qu’il m’a été déconseillée de faire c’est le démarrage du film que je voulais et qui était très violent. J’en ai donc abandonné l’idée.

Comment faire une fiction avec simplement des notes car au départ ce n’est pas un roman ?
C’était là toute la difficulté car le sujet n’était pas facile à transformer. Il n’était pas question de faire un documentaire sur les prisons mais un portrait, le combat d’une femme, afin que ce film soit présentable et surtout pas austère.
– Véronique Vasseur : Il fallait trouver une dramaturgie avec ce qui était un pamphlet. Avec Jean-Luc Estèbe, nous nous y sommes collés et j’avoue que j’ai pris un grand plaisir à travailler avec lui. Il a fallu que je me dévoile un peu mais comme ça reste une fiction, ce qui est décrit de ma vie est à la fois vrai et inventé, la trame restant véridique ;
– Yves Rénier : Le propos du livre est assez subversif, il fallait donc que ça reste vrai, crédible mais en même temps édulcoré pour que la télévision accepte le projet. Il faut savoir qu’en prison il y a de la violence à l’état pur, j’y ai assez tourné pour connaître les problèmes. J’avais aussi une peur : ne pas avoir l’autorisation de tourner dans une prison et je cherchais déjà à l’étranger. Finalement on m’a accordé le droit de tourner dans deux prisons désaffectées.

Véronique Vasseur, une femme dans ce monde d’hommes semble dangereux. Pourquoi l’avoir choisi ?
Parce que ça m’intéressait vraiment. Je ne l’ai pas choisi parce que je ne trouvais pas autre chose mais par curiosité et cela m’a passionnée. A l’époque, j’étais la seule médecin-chef mais il y avait des infirmières. Aujourd’hui il y en a beaucoup et ça se passe très bien. Les hommes nous respectent car ils ont besoin de voir des visages de femmes.

Mathilde Seigner, comment avez-vous abordé ce rôle ?
Pour moi c’est un rôle comme un autre et je l’ai donc abordé comme tous les rôles que je joue, sauf que, le premier jour de tournage j’avais une petite appréhension par rapport à Yves…
– Tu étais intimidée ? la coupe-t-il en riant.
– Mais non, que tu es bête ! Mais ce n’est jamais facile de tourner avec des gens que l’on connaît.
– Elle a raison car moi, l’appréhension, je l’ai eue lorsqu’il a fallu lui montrer le film. Je voulais tellement qu’elle soit contente du résultat !
– Donc, je n’ai pas plus “travaillé” mon rôle qu’un autre car je suis une instinctive. Je ne travaille jamais en amont, je ne me pose pas de questions psychologiques, je n’étudie pas le personnage.
Je le lis, je le découvre et je l’appréhende comme je le ressens. La seule chose que je fasse avant le tournage c’est d’apprendre mon texte lorsque j’ai de grosses tartines à envoyer ! Sinon, je me laisse guider par mon instinct, ma vision du personnage. Et je ne parle de mes rôles à personne.
– Par contre – précise Yves – nous avons travaillé longtemps sur le scénario et nous avons fait une lecture avec tous les comédiens.

Véronique Vasseur, avez-vous parlé de tout cela avec Mathilde, avant le tournage ?
En fait, je ne lui ai jamais parlé de rien, ni de mon métier, ni de mes problèmes, ni même que je prenais des notes. Je ne montrais mes écrits à personne car c’était très personnel et je n’avais pas la moindre velléité d’en faire un livre.
– Quand à moi – reprend Mathilde – je ne savais même pas qu’elle écrivait et c’est vrai qu’on ne parlait jamais de tout ça. Je n’ai lu le livre qu’une fois édité, ce qui m’a à la fois surprise et surtout choquée par ce qu’elle avait vécu. Je suis très fière de son courage et de tout ce qu’elle a fait pour faire avancer les choses.

Mathilde, vous êtes une comédienne de cinéma qui ne refuse pas de jouer pour la télévision !
Je suis une comédienne, tout court et je ne vois pas pourquoi je refuserais un beau rôle si c’est pour la télévision. D’autant que le cinéma est terriblement macho et que les beaux rôles de femmes, on les cherche, même à mon niveau et je ne suis pas la plus à plaindre !
Ce sont toujours les hommes qui ont les beaux rôles, la plupart du temps, nous servons de potiches, d’accessoires, de faire-valoir quand ce n’est pas de putes ! Alors, lorsqu’on me propose un beau rôle à la télévision, j’y vais. Et celui-ci, c’est quand même moi qui l’ai proposé !

Valérie Vasseur, contente du travail de votre nièce ?
– Enfin – interrompt Mathilde – elle ne va pas vous dire que je suis à chier ! (Rires de tout le monde)
– Bien sûr que je ne le dirai pas car ce serait faux. Je suis vraiment très satisfaite de son travail qui est remarquable et de celui de toute l’équipe d’ailleurs.

Pensez-vous que ce film va relancer le débat et le livre ?
Vous savez, à l’époque, j’ai dû quitter mon poste. Quelques mois après j’ai repris mon activité dans un hôpital. Mais ces quelques mois ont été très compliqués, très éprouvants. J’ai été accusée de tant de choses fausses ! Je savais d’où cela venait, j’avais d’ailleurs un gros dossier et j’aurais pu attaquer en diffamation. Je ne l’ai pas fait.
Aujourd’hui, ce qui me rassure c’est que je ne suis plus seule, je n’appréhende donc pas la sortie de ce film et d’ailleurs un débat est prévu après sa diffusion sur France 2.
Malgré tout je suis satisfaite du combat que j’ai mené voici douze ans, même s’il reste encore beaucoup de choses à faire dans ce domaine car peu de choses, hélas, ont changé.
Aujourd’hui je suis sereine”.

Soirée spéciale sur France 2, mercredi 17 octobre à 20h45 : passage du film suivi, à 22h10, d’un débat animé par Benoît Duquesne en présence des protagonistes, sur le thème : “La prison française a-t-elle changé ?”

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Christian Servandier

Mathilde Seigner et Yves Rénier