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André Neyton, Moi Gaston Dominici

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Connaissez-vous l’affaire Dominici, cette enquête criminelle qui a défrayé la chronique et laisse encore beaucoup d’interrogations ? Aucune preuve véritable. Juste des présomptions. Il aura suffit d’une nuit, celle du 4 au 5 août 1952, pour changer le destin des protagonistes de l’histoire dans le petit village de Lurs des Alpes de Haute Provence. Celui des victimes d’abord, le couple britannique Drummond et leur fillette, et celui de Gaston Dominici, le patriarche de La Grand’Terre, condamné pour les avoir sauvagement assassinés.

André Neyton qui puise sa création théâtrale aux racines de l’histoire et de la mémoire de la Provence a trouvé là une source d’inspiration et écrit un spectacle tout en richesse, tant au niveau des recherches qu’il a effectuées qu’à celui de l’interprétation d’un personnage aussi complexe qu’imprévisible. C’est à l’Espace Comedia du Mourillon que Limpact l’a rencontré pour en apprendre davantage sur cette nouvelle aventure artistique.

André Neyton, qu’est-ce qui vous a intéressé dans l’affaire Dominici au point de vouloir raconter son histoire au théâtre ?
C’est un sujet que j’avais déjà en tête depuis longtemps et pour plusieurs raisons. D’abord, pour un comédien, c’est un personnage extraordinaire. Presque illettré, mais pouvant pousser à l’hilarité générale la salle du tribunal grâce à des traits d’esprit surprenants, le port altier mais désarçonné parfois par ses propres mensonges, c’est un personnage tout en contraste et contradiction que j’ai grand plaisir à incarner.
Ensuite, l’attachement à la réalité culturelle et régionale, qui m’a toujours guidé dans la création artistique, s’exprime pleinement dans ce sujet. C’est déjà ce qui m’animait dans La Légende noire du soldat O, où j’abordais le racisme anti-méridional avec l’affaire du 15ème corps et qui a obtenu le label de la Mission du Centenaire 14-18,  dans Du Beurre dans les Rutabagas, un drame familial pendant la Résistance en Provence ou, dans un autre genre, lors des randonnées théâtre Maurin des Maures, une adaptation à la nature du célèbre roman de Jean Aicard, un auteur régional.
D’autre part, c’est une affaire judiciaire qui a déchaîné les passions et dont on parle encore aujourd’hui. Au mois de février, un nouveau livre sur l’affaire a encore été publié. Son petit-fils, Alain, lutte toujours pour que son grand-père soit innocenté.

Le rôle a été porté à l’écran par des grands noms comme Gabin et Serrault. Qu’est-ce que le théâtre peut apporter de différent à l’interprétation de ce personnage ?
J’avais envie de prendre l’être qu’il était dans sa globalité, avec le drôle de destin que la vie lui avait réservé. Paysan de père inconnu, très tôt orphelin, il se marie avec la fille d’un propriétaire terrien qui lui avoue qu’elle est enceinte d’un autre. Ce n’est pas ordinaire. Comme tout ce qui lui arrivera plus tard.
Le restituer dans sa totalité, c’est aussi le restituer avec son parler provençal. Il avait appris le français pendant la courte période où il avait été scolarisé, il en maîtrisait donc les rudiments, mais les finesses de la langue qu’il a donc dû employer tout le long de son procès lui échappaient totalement, ce qui l’a sans doute conduit à sa perte. C’est le parti pris de mon spectacle. C’est en tout cas ce que mes recherches dans les pièces du procès que j’ai longuement consultées à Digne m’ont amené à penser. C’était déjà l’analyse de l’époque, notamment de la part de Jean Giono qui soutenait que si Gaston Dominici avait disposé de 2 000 mots de français (par opposition au provençal), il aurait peut-être gagné son procès. Il faut imaginer comment, dans les années cinquante, cette affaire a partagé la France entre ceux qui le croyaient innocent et les partisans de sa culpabilité. C’était la France rurale contre les Parisiens. Ceux qui maîtrisaient la langue contre ceux qui se taisaient. Il y avait beaucoup de pression de la part de la Grande Bretagne, puisque les victimes en étaient originaires, de l’état français également ; des meutes de journalistes du monde entier étaient aux aguets. Il fallait un coupable et ce fut Gaston. Coupable ou pas ? Chacun a une intime conviction. A l’annonce du verdict, il a eu un instant de doute et déclaré « je vais tout dire », puis il est resté sur sa position qui, cela n’engage que moi, était de protéger un membre de sa famille, plus jeune. A son grand âge, il ne risquait plus la peine de mort, qui existait encore mais avait été supprimée pour les condamnés de plus de 75 ans. A-t-il voulu éviter la décapitation à un parent plus jeune ?…
Curieusement, en 1957, le président Coty a commué sa peine et le 14 juillet 1960 le général de Gaulle l‘a gracié et libéré.

Karine Perrier