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Claude Halmos – Son formidable cri d’espoir

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« Est-ce ainsi que les hommes vivent ?» ou comment dire les ravages psychologiques de la crise pour apprendre à y résister. C’est le dernier ouvrage de Claude Halmos, psychanalyste spécialiste de l’enfance, qui dépeint une réalité sociale saccagée par la peur de tout perdre. Entre crise économique et crise psychologique, tout est dit, dans l’idée de faire face et d’aller de l’avant.

Psychanalyste reconnue pour ses interventions sur France Info et dans le magazine Psychologies, Claude Halmos n’en est pas à son premier livre et a déjà beaucoup écrit sur les questions de l’enfance, de l’amour, de l’éducation et sur la construction de l’individu. En octobre dernier, sortait son dernier ouvrage « Est-ce ainsi que les hommes vivent ?», un livre juste, qui invite à la réflexion. Faire face aux angoisses qui nous touchent tous aujourd’hui, celles de perdre son travail, de craindre de le perdre, d’être témoin du malheur d’autrui, les faits sont réels et le combat pour s’en sortir est collectif. Entretien.

Claude Halmos, quelle était votre intention en écrivant votre livre « Est-ce ainsi que les hommes vivent ?»
Mon intention était de parler des souffrances psychologiques individuelles que subissent aujourd’hui des millions de gens, des souffrances qui ne viennent pas de leur histoire personnelle mais de ce que leur vie sociale leur fait endurer. J’ai voulu expliquer pourquoi ces souffrances sont aussi graves et surtout aussi complexes que celles issues de la vie privée et comment elles sont aujourd’hui décuplées par la crise économique.

Comment la crise économique a-t-elle engendrée une crise psychologique ?
Contrairement à ce que l’on imagine en général, un être humain ne se construit pas seulement dans sa vie privée car nous sommes des êtres doubles. Notre « colonne vertébrale psychique » est double, moitié privée, moitié sociale. Sa partie sociale commence à se construire à l’école et continue à le faire ensuite dans le monde du travail. Nous avons donc une double image de nous-mêmes, un double sentiment de notre valeur et une double identité : privée (fils de… femme de…) et sociale (boulanger, mécanicien…). Or la crise frappe de plein fouet cette partie sociale de nous-mêmes. Les chômeurs par exemple ont souvent le sentiment qu’ils n’ont plus d’identité sociale : ils ne sont pas «?boulangers au chômage » mais… «?chômeurs?», plus de valeur sociale (puisque personne ne veut plus payer, d’un salaire, leur compétence) etc… et ils en ont honte, comme s’ils en étaient coupables.

Quels sont les effets de la crise économique sur le moral des Français ?
La crise économique frappe de deux façons : directement, par le chômage et l’appauvrissement et indirectement parce que ceux qui ne sont pas encore touchés vivent dans la terreur de l’être. Tous les salariés aujourd’hui craignent de perdre leur emploi. Or perdre son emploi, ce n’est pas seulement perdre, dans la réalité, la source de ses revenus ; c’est aussi se voir amputé de la moitié sociale de soi-même. C’est ce qui explique que tant de chômeurs sombrent dans la dépression. Or, aujourd’hui on ne prend pas en compte cette souffrance psychologique des chômeurs et sa légitimité. On leur dit volontiers de « se secouer » (et eux-mêmes se reprochent de ne pas y arriver). Alors que l’on ne se permettrait jamais de dire cela à quelqu’un qui vient de perdre un être cher parce que l’on sait que c’est une épreuve particulièrement difficile à traverser. Il faut savoir que la perte d’un emploi est aussi difficile à vivre psychologiquement que celle d’un être cher. C’est un deuil aussi invalidant. Il faudrait donc prendre les chômeurs en charge. Eviter qu’ils s’enferment dans la honte et la culpabilité et que, de ce fait, le chômage, après les avoir détruits, détruise aussi leur couple, leurs enfants, leur famille. C’est un véritable problème de santé publique.

Justement, comment expliquer la réalité sociale aux enfants ?
Les parents, enfermés dans leur honte, ont souvent du mal à expliquer leur chômage à leurs enfants. Il faudrait donc les aider à le faire. Et il faudrait surtout que l’école l’explique aux élèves. Faute d’explications un enfant peut croire en effet que les adultes sont « renvoyés » de leur travail comme eux-mêmes peuvent être renvoyés de l’école : parce qu’ils ont mal travaillé ou fait des bêtises.
Savoir que ce n’est pas le cas et que le chômage est dû au fait qu’il n’y a pas assez de travail pour tout le monde permettrait aux enfants de retrouver une image valorisée de leurs parents et donc d’eux mêmes. Tout enfant peut, dès 4 ans comprendre cela. A condition bien sur qu’on le lui explique clairement et simplement.

Que signifie, vivre en temps de crise pour un enfant ?
C’est beaucoup plus grave et beaucoup plus complexe qu’on ne le croit et ce n’est malheureusement jamais travaillé par les psychologues. Tous les adultes aujourd’hui vivent dans des angoisses qui sont liées à la crise. Et les enfants baignent dans ce climat d’angoisse dont le plus souvent ils ne connaissent pas l’origine et dont ils peuvent même se croire la cause. Dans les familles touchées par le chômage, l’appauvrissement, la pauvreté, ces angoisses se doublent de conditions de vie très dures ; un enfant sur cinq vit aujourd’hui en France sous le seuil de pauvreté mais beaucoup sont juste au dessus de ce seuil (les familles monoparentales par exemple). Cela signifie que le plaisir est réduit au minimum voire banni parce que l’on a juste de quoi survivre ; un yaourt à la fraise, un paquet de biscuits sont un luxe que l’on ne peut pas s’offrir. Cette frustration permanente est pour les enfants une violence destructrice. De plus ils ont un sentiment (justifié) d’injustice car ils voient d’autres enfants avoir ce qu’ils n’ont pas ; ils se construisent donc dans l’idée d’une société injuste, ce qui est générateur de violence. Et il faudrait parler aussi de ces familles où les parents ne mangent pas pour que les enfants puissent s’alimenter, de la culpabilité de ces enfants. Il y a là un réservoir de souffrances individuelles, de vies gâchées et de problèmes sociaux à venir ; ne pas prendre cela en compte est insensé !

Alors quel avenir pour les générations futures ?
Je ne peux pas vous répondre, je ne suis pas devin. Mais ce que je sais c’est que l’avenir dont vous parlez se prépare aujourd’hui. Il dépend de ce qui va être fait aujourd’hui ; et beaucoup de choses pourraient être faites. On ne peut peut-être pas arrêter la crise économique mais on peut soigner ses conséquences psychologiques. Le problème c’est que l’on ne peut enrayer une épidémie que si l’on reconnaît qu’elle existe. Or aujourd’hui les conséquences psychologiques de la crise sont niées…

Quelles réponses peut apporter la psychanalyse à cette misère sociale ?
La psychanalyse peut dire les ravages créés par la misère sociale mais elle n’a pas de solution miracle à proposer pour mettre un terme à cette misère sociale. Elle parle de construction de l’être humain, elle montre où se trouvent les dysfonctionnements, pourquoi ils sont présents et leur niveau de gravité. Et les psychanalystes peuvent, à partir de là, travailler avec tous les intervenants pour faire à la fois du soin et de la prévention.

Finalement, est-ce un cri d’alarme ou un cri d’espoir que vous lancez dans notre livre ?
C’est un cri d’alarme et un cri d’espoir. De ma place de psychanalyste, je dis les problèmes, non pas pour déplorer mais pour affirmer qu’il faut les regarder en face et se battre pour trouver des solutions. Je parle beaucoup du collectif, j’explique que ce n’est pas seul mais en groupe que nous avancerons. Je pense aussi aux nombreuses associations de chômeurs qui font un travail formidable mais ne sont malheureusement pas assez reconnues. Je souhaite discuter, engager un débat argumenté et sérieux. Mon livre est un outil, une arme pour combattre les ravages psychologiques de la crise. C’est un combat que l’on peut gagner et il faut le gagner ! On ne peut pas accepter que des milliers, des millions d’adultes et d’enfants, c’est-à-dire de futurs adultes soient ainsi sacrifiés, sans que rien n’en soit dit, sur l’autel de la crise économique !

Propos recueillis par Marine Astor

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » de Claude Halmos
Editions Fayard – 286 pages – 18,50€

La ville de La Garde et l’Association « Parlez-moi d’un livre » vous donnent rendez-vous le samedi 13 juin 2015 à 18h30 (Complexe Gérard Philippe, Hall Dieudonné Jacobs) pour une rencontre/débat avec Claude Halmos sur la thématique « Crise économique, crise psychologique, crise éducative. »
Animé par Valérie Dufayet de l’atelier « Phil’Osons » et Philippe Granarolo, philosophe.