Auteur, compositeur, musicien et directeur musical. Son CV force l’admiration. Ancien membre du groupe Canada, Il est aujourd’hui auteur-compositeur pour de nombreux artistes francophones. Patrick Fiori, Florent Pagny, Michel Sardou, Yannick Noah et Céline Dion figurent dans son palmarès. Un succès qu’il doit à de nombreuses rencontres.
Jacques Veneruso, merci de nous accueillir au Zénith Oméga de Toulon, en répétitions.
Racontez-nous comment une simple guitare a tout changé pour vous.
A Marseille, j’étais toujours avec la même bande de pote. Un copain a ramené une guitare, offerte par ses parents. Au début ça ne m’a pas intéressé. Je préférais d’autres choses comme le foot. Je me suis retrouvé seul, face à elle. Je n’ai pas joué dessus mais je me suis senti bien. Il se passait quelque chose. A Noël, mon frère m’en a offerte une. J’ai commencé à faire du bruit avec un petit ampli. Un jour, un mec m’a dit : « je t’entends jouer dans la rue, je vais refaire un groupe avec une partie des musiciens, j’aimerais bien que tu essayes avec nous. » Le futur groupe Canada. Après, je suis monté à Paris. C’est là que tout a commencé.
Vous avez toujours repéré les bons collaborateurs, comment ?
L’intuition. C’est une chose qu’on ne contrôle pas. J’ai eu la chance de croiser ceux qui avaient, en gros, les mêmes valeurs que moi. Je ne juge pas mes proches, j’apprends à les connaître. A la première rencontre, je comprends si l’échange est possible ou non. Si la discussion reste un monologue, dans un sens ou dans l’autre, cela ne m’intéresse pas. J’ai eu la chance de choisir mes collaborateurs. La musique, écrire des chansons, les enregistrer, les jouer, c’est avant tout un échange. Avec mes chansons, les gens viennent vers moi. J’ai cette chance de ne pas avoir à taper aux portes. Je ne sais pas trop le faire. Par contre, quand j’avance pour monter une équipe, je travaille souvent avec les mêmes personnes.
La réussite dépend donc plus de l’humain que de l’instrument ?
Un instrument permet d’exprimer ce que vous avez à l’intérieur. Quand j’entends jouer quelqu’un, il faut qu’il me touche. Que ça me mette une claque ou que ça m’émeuve, il faut que ça déclenche quelque chose. C’est donc forcément lié à ce qu’on est, à l’intérieur. Les interprètes maquillent très peu ce qu’ils sont ou leur sensibilité.
Comment avez-vous commencé à composer ?
J’ai débuté très tôt. L’intérêt d’apprendre un instrument, ce n’était pas de faire des gammes ou de devenir un gros technicien. J’écoutais des supers musiciens, mais j’ai toujours été plus proche du « basique ». Le plus compliqué. Si on ne fait pas vibrer, ça ne sonnera pas. C’est la même chose pour les textes. Ma guitare me sert à composer, à m’exprimer et à écrire des chansons. Très vite, même si j’ai appris sur les chansons des autres, j’ai composé. C’est devenu naturel. Quand je prends une guitare, la mélodie vient. Elle s’accompagne souvent de mots ou d’images. Je commence à composer là-dessus. Cela peut prendre cinq minutes comme des mois.
Auteur-compositeur-interprète et directeur musical, comment arrive-t-on à gérer toutes ces casquettes ?
Franchement, je ne l’ai pas calculé. J’ai suivi un peu la vie. Les rencontres ont fait le reste. Comme je vous l’ai dit, la première remonte au lycée, ça part de loin quand même. Dans le groupe on était cinq au départ puis quatre dont trois à composer, auteurs-compositeurs et interprètes et un chanteur attitré. On est parti à Paris. Ce n’était pas évident en venant de province dans les années 80. Comme on dit, c’était un peu rock’n’roll. Une maison de disques nous donna une chance à l’époque. Puis deux. Puis trois. On peut être au bord de l’échec et d’un coup écrire une chanson qui fait démarrer la machine. A ce moment-là, on est rentrés un peu plus dans le métier. Puis La rencontre, celle qui nous a fait passer à un stade supérieur, c’est celle de Jean-Jacques Goldman.
Ce monstre sacré de la musique, comment vous a-t-il fait évoluer ?
C’était un fan du groupe. Il a alors proposé ce que je faisais à des interprètes qui lui demandaient ses compositions, à l’époque je n’étais pas du tout connu, j’écrivais uniquement pour le groupe. La première fois, Florent Pagny, l’a appelé. Il était dans le trou complet. Goldman a été le seul à répondre positivement. Il lui en a promis quelques chansons. Il a ensuite organisé notre rencontre. On a travaillé sur ses albums et Après, il m’a demandé si je voulais monter une équipe de musiciens. Je lui ai répondu que si je refaisais de la scène, il me faut les personnes que je connais. Il m’a donné carte blanche. J’ai alors appelé l’équipe avec laquelle je travaille pour Sardou. Il faut souvent faire des choix sans savoir s’ils sont bons. Quoiqu’il en soit-on ne peut pas revenir en arrière.
Vous avez préparé des tournées pour beaucoup d’artistes. Comment arrive-t-on à leur donner un second souffle ?
Je n’ai pas souvent monté de spectacles pour des artistes. La première fois, c’était pour Florent Pagny, puis sur quelques concerts de Tina Arena. J’ai monté la tournée de Carole Fredericks, celle de Patrick Fiori, toujours en gros avec la même équipe. Enfin, ce sont plus des potes. Quand on arrive à quelqu’un comme Sardou qui chante depuis autant de temps, il faut le remotiver. Je l’ai rencontré par hasard. On a travaillé sur un album, il avait besoin d’un renouvellement. Il sentait une phase de transition (2003). Soit il réinterprétait ses chansons, soit il se relançait avec des nouvelles. On avait travaillé pour donner un nouveau souffle aux anciennes chansons, sans les dénaturer. C’est là toute la difficulté. Sardou a un public fidèle, il voulait leur proposer des choses différentes sans les heurter. Il y a un groupe derrière, ça le changeait. Ce ne sont pas des “requins musiciens”, ils sont professionnels mais ils gardent cet esprit de groupe. Pousser l’artiste pour qu’il soit le mieux possible.
Comment arrivez-vous à fidéliser les artistes ?
Reprenons l’exemple de Michel Sardou. Le groupe lui a fait un cocon. Il s’est senti bien, à la fois avec l’équipe pour la scène et avec moi en studio. Après avoir fait tous les studios d’Europe, il ne voulait travailler que dans le notre. C’est pourtant un studio modeste, plus trop d’actualité maintenant. Aujourd’hui, il n’a plus rien à prouver. Il a juste besoin d’un regain d’énergie, d’envie. C’est dans ce sens, qu’on monte la tournée.
Vous devez aussi nouer une certaine relation de confiance.
Evidemment. Il y a des discussions “fortes”. L’avantage avec Michel Sardou, c’est qu’il voit que je suis là aussi. Il sait que je peux vivre sans monter sa tournée, voire sans travailler sur ses albums. Il sait que je n’ai pas besoin de lui, mais que j’ai envie de le faire, sans penser à ce que ça peut me rapporter. Je dis ça en toute honnêteté. Si c’était pour l’argent, je resterai chez moi pour composer. C’est plus lucratif que rester dans des répétitions pendant un mois et demi. Suivre un artiste, cela prend du temps, le cerveau, l’énergie, donc c’est vraiment un choix.
Quel est votre meilleur souvenir artistique ?
Le premier est parti de Carole Fredericks. Une amie chanteuse. Elle me permettait de faire un style de musique différent. Plutôt blues, rythm and blues et soul. On a fait un premier album en anglais super et très rond. Il a été classé dans les charts folk aux Etats-Unis. Tout le monde croyait que nous étions américains. On a rejoint les chorales de Brooklyn. On en a trouvé une vraiment gospel, un moment extraordinaire. Le second correspond à l’album « 1 fille et 4 types ». On s’est retrouvé avec Céline Dion à faire le clip comme un groupe qui part sur la route, qui joue dans des endroits pourris et qui monte petit à petit. Je me suis dit bon on va enregistrer la chanson, on va faire le clip dessus, tu es avec tes potes d’enfance, avec Jean-Jacques Goldman un mec unique dans le milieu du showbiz et qui nous a montré qu’on peut garder nos valeurs même dans la plus grosse des productions musicales.
Avec quel artiste, auriez-vous aimé faire un boeuf ?
Faire un boeuf avec B.B. King oui. J’ai dû le voir 10 ou 12 fois dans ma vie. Une fois, je l’ai vu à Harlem. C’était ma première fois à New-York. Je n’avais pas d’argent mais j’ai tenu à aller à son concert à l’Apollo Theater. L’ambiance du concert n’avait rien à voir avec celle quand il vient en France. C’était extraordinaire.
Propos recueillis par Manouk B