Isabelle vit à Ollioules et cumule deux étiquettes, celle de maraîchère et d’enseignante. Deux métiers qui sont au cœur des problématiques découlant de la pandémie mondiale du Covid19. Comme pour de nombreux petits agriculteurs, le confinement a eu de lourdes conséquences mais pour eux, l’avenir reste l’agriculture locale, soucieuse de l’environnement.
Pourquoi avoir choisi le métier d’agricultrice ?
L’agriculture a toujours fait partie de notre histoire de famille. Du côté paternel, mes grands-parents étaient de Champagne, dans la viticulture ; du côté maternel, il y a toujours eu un coin de terrain réservé aux productions maraîchères où l’on mangeait ce que l’on produisait. Ainsi, travailler la terre, travailler avec le rythme des saisons, sans produits chimiques, c’est une manière de vivre dans notre famille. J’ai fait de cette culture familiale une pratique dont l’objectif est aussi pédagogique. Je veux montrer que l’alimentation est aujourd’hui un enjeu pour nos vies afin d’avoir une santé plus solide et comprendre que l’agriculture est une des bases de notre société. Je souhaite aussi démontrer que le bio et le local sont bien moins chers que les produits importés qui garnissent les étals des grandes surfaces. Faire le choix d’un producteur de proximité, c’est réduire son taux carbone en évitant les grandes surfaces, c’est faire le choix d’un “manger sain”, c’est faire vivre une entreprise locale, aujourd’hui dernier wagon du système économique français : l’agriculture. Une autre voie est possible face à la mondialisation.
Depuis quand exercez-vous ce métier ?
J’ai créé mon entreprise agricole il y a cinq ans. J’ai recherché un terrain dans tout le Var pour m’installer mais la pression urbaine est trop forte. Je me suis donc tournée vers la commune d’Ollioules qui entreprenait une reconquête des terres agricoles en lisière urbaine afin d’offrir aux Ollioulais une alimentation de qualité par des produits locaux en AB (la certification en AB est un gage de confiance et de qualité aux produits locaux). La commune a accepté ma candidature sur le projet de l’Enregado. Pendant 5 ans, je me suis formée grâce à la chambre agricole du Var et Agribiovar pour développer mes compétences dans la technique du bio. J’ai postulé au bon moment.
Quelles sont les conséquences de la pandémie sur votre culture ?
La pandémie a multiplié par quatre la demande mais notre terrain de moins d’un hectare n’est pas extensible et cela a modifié la façon de vendre. L’alimentation saine pour tous les Ollioulais était une préoccupation partagée par la mairie et par nous, Enregado exploitation agricole. Nous nous sommes retrouvés confrontés à de nouvelles clientèles. Tout d’abord, celle des grandes surfaces s’est tournée vers nous. La pénurie n’existait pas. C’est la peur qui a engendré le manque. La vue de produits manquants d’origine industrielle ou agroalimentaire a amplifié la crainte. Cette crainte a fait naître une surconsommation des produits. Pour ne pas manquer, les gens se sont dits qu’il fallait acheter plus et faire des réserves. Mais cette clientèle ne sait pas faire la différence entre commerçant et producteur. Elle ignore la notion de production de saison et elle ne connaît pas les produits du travail de l’agriculteur. A celle-ci s’ajoute la demande des restaurateurs qui pour éviter la faillite se sont mis à faire de la vente à emporter. Ils se sont donc tournés vers notre production. Et nous avons eu, en début de crise, des appels de label de grande distribution souhaitant acheter notre production. Nous avons refusé. Cependant, à l’échelle nationale certains ont accepté par peur des lendemains difficiles et se sont fait étrangler par des prix très bas. Hors période COVID, notre clientèle est axée sur 3 branches: la clientèle de quartier, la restauration scolaire de la commune et le réseau de vente “La Vie Claire”. Nous avons quelques restaurateurs de la région toulonnaise.
Pouvez-vous nous parler du marché noir qui a touché le secteur de l’agriculture à Ollioules ?
Les prix ont enflé et le marché noir a pris de l’ampleur avec des revendeurs à la sauvette aux coins des rues. Les légumes et les fruits sont devenus des produits de luxe alors qu’ils sont la base alimentaire de la société. Le marché noir disparaît aujourd’hui avec la reprise du travail. Il a surfé sur la vague du confinement et des peurs collectives que la maladie a engendrés. Ce n’est pas tant ce marché noir qui interroge, car à cet instant il n’a plus d’existence, mais le manque d’actions de l’état qui n’a pas anticipé la flambée des prix et le problème du transport. Des familles qui dépendent des services sociaux ou d’associations se sont retrouvées dans une situation très compliquée. Toujours au niveau national, la représentation des services publics pour compenser ce manque pose un véritable questionnement.
Qu’avez-vous mis en place pour lutter contre cette situation ?
Nous n’avions plus d’étal pour éviter les surfaces contaminantes et nous avons tout misé sur la vente par panier sous la forme de “drive” avec des rendez-vous pour éviter les rassemblements sur le point de vente. Nous avons aussi mis en place un service de livraison pour les habitants de la commune qui ne pouvaient se déplacer. Nous avons décidé de mettre un quota à la vente de certains produits qui auraient pu faire l’objet de revente (pomme de terre, petit pois…). Durant cette crise, la mairie d’Ollioules nous a apporté régulièrement des dizaines de masques “grand public” que nous avons pu distribuer gratuitement à nos clients. La commune a aussi mis à notre disposition des barrières afin que nous puissions organiser l’arrivée de nos clients et la zone de parking.
Pensez-vous que cette crise aura des conséquences sur la façon de consommer des français ?
Les particuliers ne se sont pas trompés en faisant leurs courses dans une exploitation agricole, les prix sont bas car aucun frais de transports, peu de charges et c’est effectivement un des rares endroits de vente où les prix n’ont pas gonflé. C’est aussi une façon plus écologique de consommer. J’ose espérer que cette nouvelle fréquentation fera naître un nouveau mode de consommation et que les gens continueront de s’alimenter chez les paysans en direct. Mais nous craignons que les grandes surfaces ne s’emparent de l’image du bio et du local et qu’elles continuent à créer des carrés bio pour surfer sur la tendance que le Covid aura engendrée : une alimentation bio et locale. Avec la reprise du travail depuis deux semaines, nous voyons bien que la clientèle des grandes surfaces a disparu et ne passe plus commande. Les habitudes de consommation et le quotidien ont repris leurs droits. Nous pensons qu’à terme, 5% de la nouvelle clientèle amenée par le COVID restera fidèle. Nous pensons que les habitudes reprendront le dessus par facilité. Aussi, notre travail à nous, producteurs locaux, c’est de continuer à convaincre qu’une alimentation locale, bio et de saison, c’est avant tout une garantie sur la vie. Le bio, c’est 30% de risques de maladies en moins pour sa vie. 30%, c’est un chiffre qui fait fureur au moment des soldes. On se dit que ça vaut vraiment le coup.
Allez-vous recevoir une aide exceptionnelle de l’Etat ou de l’Europe (via la PAC) ?
Non. Nous n’avons pas d’aide en temps normal donc nous n’en aurons pas. Nous avons mis en place un réseau d’entraide solidaire sur le secteur d’Ollioules et la région toulonnaise, entre quelques connaissances pour essayer de se tenir la tête hors de l’eau. C’est un mouvement personnel, spontané et fondé sur la solidarité et l’engagement entre gens de la terre. L’Etat a invité les personnes sans travail à donner un coup de main dans les exploitations agricoles, sans être testées au Covid, (ce sont près de 50.000 personnes lâchées dans la nature sans test, sans masque). Nous aurions souhaité au plus tôt une régulation des marchés pour éviter l’emballement des prix qui a suivi.
Avec l’ouverture progressive des marchés en raison du déconfinement, pensez-vous que cela arrangera votre situation ?
Oui, nous l’attendons car la réouverture des marchés et foires va d’abord être un bol d’air pour les paysans qui ne vivaient que sur ce type de vente et ensuite, la multiplication des points de vente va casser la crainte du manque et réguler naturellement les prix.
Propos recueillis par Maëlliss Patti