Cameraman, réalisateur, producteur, directeur de la photographie…
Christian Petron est une légende dans le monde de l’image sous-marine.
Avec des milliers de plongées à son actif, cet autodidacte a participé
à plus de 60 longs-métrages (dont le cultissime Grand Bleu de Luc Besson). Passionné de la mer et de haute-montagne, il partage son temps entre Cavalaire-sur-Mer, dans le Var, et la Haute-Savoie où il a grandi. A 76 ans, il explore toujours les fonds marins avec le même enthousiasme, quand il ne dévale pas les pistes de ski ou ne grimpe pas des parois verticales, ses autres passions.
La plongée ?
C’est l’exploration, la découverte, la sensation de liberté et de pénétrer un univers peu connu. C’est aussi la possibilité d’entrer en contact avec des animaux : se retrouver face-à-face avec des mérous, un banc de liches, sur des épaves… on éprouve difficilement ça dans le milieu terrestre. 60 ans après mes premières plongées, je suis toujours émerveillé. Là, je viens de m’équiper d’un bateau doté d’un super sondeur Simrad, on peut scanner en 3D les fonds marins et tout voir en détails. On a, par exemple, identifié de nouvelles épaves dans la baie de Cavalaire-sur-Mer datant de la seconde guerre mondiale.
Les débuts ?
J’ai toujours été passionné par la plongée. On vivait à Annecy, mais je passais tous mes étés à La Ciotat, chez mes grands-parents. J’ai commencé la chasse sous-marine à 10 ans et la plongée, à 13 ans. Une passion qui m’a poussé à faire carrière dans le monde sous-marin, au grand dam de ma mère qui me voyait prêtre. Les opportunités en tant que moniteur de plongée étaient limitées, alors qu’il y avait un marché à prendre dans les métiers de l’image et du film sous-marins. J’ai rejoint la Marine nationale, je m’occupais des petits sous-marins océanographiques. Mon travail consistait notamment à faire des images, des photos, à filmer des objets perdus, comme des torpilles. Je me suis formé sur le tas. Après la Marine, j’ai rejoint la Comex, les pionniers de l’industrie hyperbare et des interventions sous-marines, comme cinéaste et photographe. J’ai continué à m’autoformer à l’image, tout en prenant des cours. J’ai été le premier à gagner ma vie avec l’image sous-marine, j’ai créé le métier de photographe sous-marin. Cousteau, c’était différent, lui c’était une industrie.
Vos modèles ?
A La Ciotat, je côtoyais des chasseurs sous-marins, comme Georges Beuchat, l’un des pionniers des activités subaquatiques, avec lesquels j’ai eu l’occasion de chasser. Mais mon idole, c’était Philippe Tailliez, l’un des trois Mousquemers, avec Cousteau et Frédéric Dumas. Je possède toujours son ouvrage, “Plongées sans câble“, qui a été mon livre de chevet adolescent. Son humanité, sa poésie, c’était un grand bonhomme. C’est lui qui a créé le GERS dans la Marine, le Groupe d’études et de recherches sous-marines, et c’est lui qui a recruté le jeune Cousteau. Il est le père de la plongée sous-marine.
Cameraman, réalisateur, producteur, directeur de la photographie…
Tout s’est fait petit à petit. Après la Comex, j’ai lancé ma propre structure: Photomarine d’abord, devenue Cinémarine en 1980. A cette époque, je faisais beaucoup de chantiers industriels, pour la Comex et des entreprises de travaux sous-marins. Mais je voulais tourner des films animaliers pour la télévision. Grâce à une rencontre, j’ai intégré la célèbre émission diffusée sur TF1 “Les Animaux du monde”. Pendant 8 ans, j’ai participé à plus de 30 films sur la faune et la flore sous-marines aux quatre coins du globe. D’abord caméraman, puis réalisateur et enfin, producteur. Ça a lancé ma carrière. Après tout s’est enchaîné. Directeur de la photo sur le Grand Bleu et Atlantis, de Luc Besson, Planète Océan, de Yann-Arthus Bertrand, des films sur l’archéologie sous-marine, des publicités…
Devenir réalisateur ?
On le porte en soi, c’est inné, il faut savoir écouter les gens, observer, repérer les belles images, identifier ce qui est intéressant dans le discours de quelqu’un… Ça ne s’apprend pas, la preuve, très peu de grands noms sortent des écoles de cinéma. Luc Besson est un réalisateur extraordinaire: il a débuté en ouvrant des canettes sur les plateaux de cinéma.
La technique, la réalisation et une certaine sensibilité ?
Oui. Je la tire peut-être de mon enfance… Je n’ai pas eu de père, il est mort pendant la seconde guerre mondiale. Quand je suis né, il nous avait déjà quittés. C’est aussi pour ça que je n’aurais pas pu m’entendre avec Cousteau, plutôt que de partir tourner des films et d’organiser des projections pour le maréchal Pétain, il aurait pu rejoindre le Général de Gaulle.
Parole de flic, L’Année des méduses, Les Amants du pont-Neuf…
Au total, j’ai participé à plus de 60 longs-métrages, où on tournait au moins une séquence sous-marine. J’ai rencontré des acteurs fantastiques, Charlotte Gainsbourg, Clémentine Célarié, Alain Delon… Je les ai côtoyés, j’ai passé des soirées avec eux, je les ai préparés aux plongées. J’ai tellement de souvenirs. Comme cette semaine de travail avec Jean Dujardin, un garçon extraordinaire, pour 2 minutes montées dans OSS 117. Ou avec Monica Bellucci, sur Agents secrets, ce qu’on a pu rire ! Elle était obnubilée par les requins. J’avais beau lui répéter qu’au large du Lavandou, elle ne risquait rien, elle ne pensait qu’à ça.
Un moment inoubliable ?
Ma plus forte émotion, c’est ma première plongée sur l’épave du Titanic. On est une poignée d’hommes à l’avoir approchée. Je réalisais des documentaires pour la chaîne de télévision américaine Discovery Channel. On a plongé avec le sous-marin Le Nautile, on s’est posés sur le fond, à 3800 mètres. Je regardais la coque, cette muraille de 40 mètres de haut, et devinais l’immensité du navire plongé dans les ténèbres. J’étais bouche-bée, là devant moi, gisait le Titanic. C’est un monstre, ça prend aux tripes, surtout quand on pense au drame… Sur le sable, il y avait une paire de chaussures, c’était impressionnant, peut-être à l’époque y avait-il là un corps, emporté depuis par les eaux… Au bout de quelques minutes, le pilote du sous-marin m’a sorti de ma torpeur et m’a invité à filmer ! C’est que la minute coûte chère !
Claude Lelouch, Alain Chabat, Claude Berri, Luc Besson, James Cameron… pour ne citer qu’eux.
Ce sont des hommes simples, il suffit d’être vrai. Je garde d’excellents rapports avec James Cameron. Pour les tournages sur le Titanic, on avait élaboré des caméras, des optiques sous-marines, pouvant résister à 6000 mètres de fond. Ma formation initiale d’ingénieur sous-marinier m’a toujours aidé dans mon travail. Le résultat était bluffant, et de meilleure qualité que les images tournées par James Cameron quelques mois auparavant pour son film Le Titanic. Le réalisateur américain a voulu nous les racheter, mais il avait tellement explosé son budget que plus personne à Hollywood ne voulait investir… on lui prédisait un désastre financier. Je n’ai donc pas eu mon nom au générique de Titanic ! Plus tard, il m’a contacté pour venir voir nos sous-marins à Toulon, le Nautile et les Deep Rover. Il est arrivé en jet privé à Hyères, il est resté trois jours à la maison. C’était génial. Je lui ai tout montré, les caméras, les caissons, les sous-marins…
Des documentaires, des films mais aussi des publicités.
La publicité, c’est très formateur. Il y a une recherche permanente de nouvelles techniques de caméras, de présentation, de montage… Ce secteur est en quête de l’image parfaite, sensationnelle. C’est là que j’ai appris à travailler avec des chroma, des structures sur fond vert qui permettent ensuite d’incruster les personnages dans un décor.
Votre carrière ?
J’aurais pu mieux faire. Je suis passé à côté de gros trucs, sans doute parce que j’étais trop gentil. Je pense à Canal+ qui, à l’époque, disposait de moyens financiers énormes. Ils m’avaient appelé pour développer un projet : explorer et tourner des films dans les grandes profondeurs, au-delà des 100 mètres, là où Cousteau se limitait à la zone des 0-100 mètres. Mais pour avoir une dimension internationale et financer le projet, le groupe audiovisuel a recruté des personnes qui ne connaissaient rien à l’univers de la plongée. Moi, je n’avais que mes compétences à revendre… Je n’ai pu m’entendre avec ces gens et j’ai claqué la porte. Finalement, le projet n’a jamais abouti. Je le regrette.
Chevalier du mérite maritime, membre de l’Académie des sciences et techniques sous-marines, médaille d’or des scaphandriers de la Fédération de Russie… Impossible de toutes les énumérer !
Ça ne représente rien. La seule chose qui m’amuse, c’est de voir les yeux écarquillés du douanier à la frontière russe quand il voit que je suis médaillé d’or, sinon ça ne m’intéresse pas… Ce qui me touche, ce qui m’honore, ce sont les prix attribués à mes réalisations, comme la Palme d’or remise en 1987 par le prince Albert II de Monaco, pour la série documentaire Los Roques, diffusée dans les Animaux du monde. Un grand moment.
Et la retraite ?
Depuis 2016, je fais ce qui me plaît, je n’ai plus aucune contrainte commerciale. Depuis un an, je travaille sur un documentaire consacré à l’histoire de l’image sous-marine depuis 1880, c’est un travail de recherche important… et passionnant.
Le Grand Bleu.
1987. Un moment clé de ma carrière. Je l’ai peut-être vu 100 fois, mais je ne peux m’empêcher de rire, de pleurer, tellement c’est bien fait. On a fabriqué des caméras et des optiques spécialement pour le tournage, par manque de matériels disponibles sur le marché. Pour préparer les acteurs, Jean-Marc Barr et Jean Reno ont suivi une formation intensive avec un ancien nageur de combat. Résultat : en trois mois, ils descendaient en apnée à 40 mètres sous la mer, à la gueuse. Une véritable prouesse.
Un seul poumon.
En 1979, j’avais un calcul dans la vésicule de la taille d’un œuf de pigeon, c’était très douloureux. A l’époque, la technique des ultra-sons n’existait pas, il fallait opérer. Une intervention bénigne, mais le chirurgien a oublié une compresse à l’intérieur. J’ai souffert de douleurs atroces pendant 3 mois, j’avais un abcès énorme qui est remonté dans les poumons et a explosé le diaphragme. J’ai dû être hospitalisé 4 mois. J’ai été sauvé in extremis. Il ne me restait qu’un poumon. Le diagnostic était sans appel : c’en était fini de la plongée. Privé de plonger, comme de ski ou de haute montagne : impensable, je serais malheureux. Je ne m’imagine pas une seconde une bière à la main, devant un match de foot. Je suis allé voir un ami à la Comex, le docteur Xavier Fructus. J’ai passé des tas d’examens, de tests en caissons pour étudier le taux d’azote et analyser ma décompression. Résultat, tout fonctionnait normalement. J’étais miraculeusement sauvé.
L’appel des profondeurs.
Le Titanic à 3800 mètres, mais plus profond encore, la Dorsale de l’Atlantique à 4500 mètres, à bord du Nautile. C’était une mission pour l’IFREMER (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer), il y a 20 ans. A cet endroit, au beau milieu de l’Atlantique, les plaques tectoniques américaine, eurasienne et africaine entrent en contact : ça crée une chaîne volcanique sous-marine. On y a effectué des prélèvements de gaz, d’eau, de laves… et j’ai tourné des images aussi. Je n’ai aucune appréhension à descendre à ces profondeurs : pour cela, il suffit d’avoir une confiance absolue dans le matériel, de bien le connaître et maîtriser à fond la technique.
Militant écologiste.
Dans les années 1980, quand on plongeait sur l’île de Port-Cros, on ne voyait pas un mérou, la mer était sale, les gorgones brûlées… Les stations d’épuration n’existaient pas, et le tout-à-l’égout se jetait directement dans la mer. Les scientifiques militaient pour faire bouger les politiques. Avec le biologiste marin Nardo Vicente, on voulait agir. Grâce au CNRS, on a financé un film sur l’état des côtes méditerranéennes en France. On a plongé à la sortie des égouts, dans la merde. Des vaguelettes de papier toilette recouvraient le sable… tout ça devant le Cap Sicié et la Calanque de Cortiou. Notre documentaire Pollution et nuisances sur le littoral méditerranéen a décroché la Palme d’or à la COP 1, à Rio de Janeiro. Toute la presse mondiale s’en est fait l’écho, alors qu’en France, on n’avait même pas réussi à le diffuser, personne n’en voulait. Les politiques, la presse régionale aussi, Var Matin, Le Provençal, nous ont traités de menteurs. Mais Nardo Vicente a montré le film à Gaston Defferre, et une fois la projection terminée, le maire de Marseille s’est engagé à construire la toute première station d’épuration de la côte. D’autres villes lui emboitèrent le pas. Ce film nous valut d’être persona non grata : pendant des années, Cinémarine ne toucha aucune subvention de la région.
Propos recueillis par Isabelle Ferrière