Accueil Articles [Articles] block 2 Boris Cyrulnik, Les bases de l’attachement : un cadeau pour la vie

Boris Cyrulnik, Les bases de l’attachement : un cadeau pour la vie

373

Boris Cyrulnik, psychiatre, neurologue et éthologue français a développé le concept de la résilience et l’a surtout fait découvrir au grand public. Il était présent, samedi 27 février, à la conférence animée par Philippe Granarolo sur le thème de la fragilité, dans le cadre de la 4ème édition de Them’Art. Une occasion pour nous de mettre en exergue son travail, sur la résilience notamment, et de nous entretenir un moment avec lui.

Philippe Granarolo, Laurence Vanin, Boris Cyrulnik lors du Them'Art à La Garde - Limpact

Qui est Boris Cyrulnik ?
Boris Cyrulnik est né en 1937, à Bordeaux, dans une famille d’emmigrés juifs d’Europe centrale et orientale, arrivés en France dans les années 1930. La guerre de 1939-1945 lui arrachera ses parents puisqu’ils mourront déportés. Un traumatisme dont il apaisera les souffrances en embrassant la carrière de psychiatre.
Il fait donc ses études de médecine à Paris, travaille en psychiatrie, pratique la psychanalyse. Plus tard, son parcours l’amènera à animer un groupe de recherches en éthologie clinique au centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer et à être directeur d’enseignement du diplôme universitaire « Clinique de l’attachement et des systèmes familiaux » à l’Université du Sud Toulon-Var.
Cette notion d’attachement est au centre de ses travaux car, nous le verrons plus tard, c’est sur ce socle que le mécanisme de résilience peut prendre vie. Et la résilience, c’est le fil conducteur des travaux de Boris Cyrulnik et de ses conférences, auxquelles les gens assistent avec un immense intérêt.
Pourquoi ? Parce qu’avec sa voix douce et chaleureuse, ses traits d’humour espiègles, il nous raconte l’histoire du Malheur, comme cette histoire qu’on nous lisait ou que nous lisons nous-mêmes à nos enfants et petits-enfants. Mais, comme dans les contes, il y a des fins heureuses. Car Cyrulnik nous explique que celui qui a tissé des liens affectifs solides pendant la petite enfance pourra survivre au trauma du Malheur et devenir « résilient ».

La résilience, qu’est-ce que c’est ?
Je vais reprendre la définition que Boris Cyrulnik en donne lui-même : la résilience c’est « comment reprendre un développement après une agonie psychique ».
Alors, comment survient l’agonie psychique ?
C’est un traumatisme dont la violence vous laisse hébété, explique-t-il. C’est une agression, « une effraction » dit aussi Cyrulnik, d’une telle violence qu’elle met à sac les protections de l’individu. Il ne s’y attendait pas, ne comprend pas et ne sait pas y faire face. Être arraché à ses parents et les voir disparaître vers les camps de la mort est un trauma. Être blessé dans un attentat lors d’un concert, comme au Bataclan, est un trauma. Les scènes de violence domestique sont des traumas…
A partir de là, deux possibilités : sombrer et laisser place au syndrome psychotraumatique. Ou bien, avoir la force de chercher ce qui va bien autour de soi et s’y accrocher, et, ça, c’est la résilience.
Les études montrent qu’une personne, qui a vécu son enfance dans un milieu aimant et sécurisant, aura plus de chance d’être résilient. Cet attachement sécurisant n’est pas forcément la relation que l’enfant a avec ses parents. Les personnes que l’on appelle « tuteurs de résilience » et qui aideront l’enfant à reprendre son développement après le traumatisme, en l’entourant, lui donnant confiance et l’aimant, peuvent être un autre membre de la famille, un enseignant, un éducateur, une nounou, un psychologue…

Cyrulnik nous apprend quelque chose d’encore plus surprenant, et qui justifie son travail sur le lien d’attachement : des enfants ayant, in utero, ressenti le stress  traumatique de leur mère, dans des territoires en guerre par exemple, naissent pour la plupart avec une atrophie de la zone fronto-limbique (responsable des émotions et de la mémoire). Mais, si, aussitôt, est mis en place autour de l’enfant un entourage rassurant et sécurisant, cette zone peut reprendre son développement et sa taille normale. On peut donc agir sur le milieu qui agit sur nous. Il y a une forme de liberté dans cette possibilité d’agir.

Comme il y a une forme de liberté dans la résilience. J’en donnerai deux exemples.
Le premier nous est donné par Boris Cyrulnik lui-même, lors d’une conférence en hommage à Germaine Tillion, ethnologue et résistante, déportée et rescapée du camp de Ravensbrück. Le 21 octobre 1943, Germaine est déportée, connaît la brutalité et les humiliations des gardiennes du camp. Elle est traumatisée, hébétée. Mais, Germaine a connu une enfance heureuse dans une famille aimante et sécurisante. Ce qui va l’aider à mettre en place son processus de résilience. En bonne ethnologue, elle se met à faire ce qu’elle a toujours su et aimé faire : observer une population, en l’occurrence celle de ses geôliers. Et, tous les soirs, dans le dortoir, elle organise des « conférences » pour celles qui partagent l’horreur avec elle, et leur expose ses observations. Germaine les entraîne ainsi avec elle dans son processus de résilience… Si ses gardiens se sont soumis au langage totalitaire du nazisme, elle ne se soumettra pas. Elle écrira même une opérette, Le Verfügbar aux Enfers, sur un cahier bien caché, relatant avec humour leurs dures conditions de détention. Un hommage de la Nation lui a été rendu au Panthéon le 27 mai 2015, où elle est entrée en même temps que Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette.
Le deuxième, si vous allez visiter le Camp des Milles, à Aix-en-Provence, vous en aurez la magnifique illustration.
Pendant la deuxième guerre mondiale, ce camp a servi de zone de transit, avant déportation, pour une importante communauté d’intellectuels et d’artistes européens… Une fois le trauma de l’enfermement et des privations dépassé, ils ont utilisé l’art pour résister à la déshumanisation programmée. Des centaines d’oeuvres y ont été réalisées. Dans Die Katakombe, un four à tuiles, des moments culturels étaient organisés, à la bougie. Vous pouvez aujourd’hui encore découvrir de nombreuses oeuvres sur les murs du camp.

Boris Cyrulnik - Limpact

Petite bibliographie
Voici quelques titres parmi les nombreuses œuvres de Boris Cyrulnik. Avant de vous les livrer, j’en soulignerai la grande qualité pédagogique. Boris Cyrulnik nous explique, avec la plus grande simplicité et la plus grande concision, les résultats de recherches, qui nous sembleraient bien abscons s’il ne s’y entendait pas pour les adapter à la compréhension du public. Lorsque, comme lui, à la fin de la guerre, il fallait trouver les moyens de se faire entendre pour nommer l’innommable, on était à bonne école pour trouver le mot juste et adapter sa parole à celui qui voulait bien écouter.
Alors, sans être une spécialiste, dans la période que nous traversons, je conseillerai la lecture ou relecture des Nourritures Affectives, paru en 1993 mais tellement contemporain.
Un Merveilleux Malheur, Le Murmures des Fantômes, Parler d’amour au bord du gouffre, Sauve-toi la vie t’appelle, Les Ames Blessées sont aussi de très beaux ouvrages.
J’ai personnellement trouvé passionnant Quand un enfant se donne la mort, qui est au départ un rapport remis à Jeannette Bougrab, alors Secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et de la Vie associative, sur le suicide des enfants. Dans ce livre, Boris Cyrulnik met au service du sens de ce geste précocement fatal les connaissances dont il dispose en psychologie, sociologie, biochimie et neurobiologie. C’est bouleversant et en même temps plein d’espoir, parce qu’on y comprend, comme je l’ai dit plus haut, qu’en modifiant le milieu, en sécurisant l’enfant, on modifiera son devenir. C’est le cheval de bataille de Boris Cyrulnik et nous allons y revenir immédiatement avec lui puisqu’il a gentiment accepté de répondre à mes questions.

Boris Cyrulnik, le trauma de votre enfance a-t-il guidé votre choix de spécialisation pendant vos études de médecine ?
Oui, et c’est une réaction habituelle. Ce choix est pour les victimes de trauma un facteur de résilience. La personne blessée devient sensible à ce type de souffrance. Elle devient spécialiste de sa blessure. Elle évite ainsi d’être victime du syndrome psychotraumatique.

Les nouvelles technologies, telles que l’imagerie médicale, font progresser les scientifiques dans leur compréhension du fonctionnement du cerveau. Pensez-vous que nous sommes proches d’une connaissance exhaustive dans ce domaine ?
Plus la science progresse, plus elle pose de questions. Les progrès qu’elle apporte sont fantastiques, mais amènent avec eux mille autres questions dont les solutions de sont pas définitives. Grâce à l’imagerie médicale, on constate aujourd’hui l’inégalité des réactions du cerveau face au trauma selon les personnes. Un enfant qui a eu des interactions précoces, qui a été entouré, sera mieux préparé à y faire face qu’un enfant isolé, qui a subi la guerre, la précarité, la névrose parentale et pour qui tout événement devient facteur de vulnérabilité et d’agression.

L’humour est très présent dans vos ouvrages comme vos conférences. Est-ce un de vos outils pour parler de choses graves ou un de vos traits de caractère ?
L’humour c’est la politesse des désespérés. Parler trop sérieusement casse les pieds de l’auditoire. C’est donc une protection que de dire les choses en souriant. Le blessé établit la relation en faisant sourire : il pourra continuer à parler et les autres l’écouteront.

Boris Cyrulnik, Thèm'Art La Garde - Limpact

En juin 2010, aux côtés de Laurence Rameau et Philippe Duval, vous avez créé l’Institut Petite Enfance (IPE). Finalement c’est un premier aboutissement de vos travaux par leur mise en application institutionnalisée. Pouvez-vous nous expliquer la mission de l’IPE ?
C’est effectivement l’application de tout ce que j’ai pu écrire sur l’attachement et sur l’intérêt de créer une niche affective sécurisante pour l’enfant. Ce travail sur les bases de l’attachement est déjà mis en œuvre dans les pays d’Europe du Nord, depuis plusieurs années. Des réformes politiques y ont été faites pour concentrer plus d’attention sur l’enfance pré-verbale, les années où tout se joue, et former du personnel dans le secteur de la petite enfance. Ils ont pu en mesurer les résultats, en constatant une baisse conséquente dans les cas de suicides, de troubles psychologiques et de petite délinquance.
Le Brésil vient de décider d’adopter ces réformes lui aussi.
Les mesures à prendre pour favoriser les bases de l’attachement chez l’enfant sont, entre autres, d’allonger la durée des congés parentaux pour que l’enfant reste plus longtemps avec ses parents dans cette niche sensorielle sécurisante. A l’école il faut, également, retarder le plus possible l’apparition des notes. Les pays qui ont mis ces idées en pratique ont remarqué une baisse de 50% des troubles psychiques ainsi qu’une très nette augmentation des résultats scolaires aux évaluations PISA.
Les Norvégiens ont, quant à eux, mené une étude de retour sur investissement et ont pu ainsi constater que leurs résultats économiques étaient en hausse.
Nous avons créé l’IPE pour que ce soit un lieu de formation pour tout professionnel interagissant avec l’enfant de 0 à 3 ans, fondé sur les théories de l’attachement et sur l’éducation et les apprentissages des jeunes enfants.

Êtes-vous à l’écriture d’un nouvel ouvrage ?
Oui. Il est même terminé et il sortira début avril.

Merci Boris Cyrulnik. Nous attendons avril avec impatience

Propos recueillis par Karine Perrier