Dali,
Voilà 25 ans que tu as décidé de mourir, non pas sur scène, comme tu le chantais, mais à ta manière. Une manière, hélas, déjà expérimentée une première fois qui nous aura malgré tout laissés encore 20 ans auprès de toi. Mais en ce 3 mai 1987, tu as réussi.
Tu avais alors 54 ans, la beauté, le succès, le talent, tu venais de triompher au cinéma et plein de beaux projets t’attendaient, pour notre plus grand plaisir, nous, tes bambinos que tu laissas orphelins. Mais voilà : tu étais seule, une fois de plus et tu as franchi ce mur qu’on ne croyait plus franchissable. Pourtant il y avait ces milliers de fans, tes amis,Orlando et Rosy qui t’adoraient… Mais cela ne te suffisait plus.
Tu m’avais dit un jour : “J’ai réussi dans ma vie… J’aimerais réussir ma vie…” et il est vrai que si Dalida était très entourée, Yolanda était solitaire, sans homme, sans enfant, se sentant vieillir. Tu ne l’as plus supporté, tu l’as écrit et tu es partie.
Nous n’avons pas à juger ce geste même si ne le regrettons encore mais pour en arriver là, fallait-il que ton désespoir soit immense. J’avais été un fan de la première heure puis, devenu journaliste, nos rapports ont évolué jusqu’à cette amitié que tu m’as donnée pour toujours. Restent des souvenirs partagés, des rencontres affectueuses, des photos où tu es si belle… et toujours beaucoup d’émotion lorsque je parle de toi, que je te vois ou t’écoute… Et c’est souvent, crois-moi. 25 ans déjà. Tu es toujours si présente et en ce triste anniversaire, j’avais envie de te rendre hommage et de raconter notre histoire… Comme si tu étais là.
Mon histoire, c’est l’histoire d’un amour
Un amour qui m’a foudroyé alors que j’avais… 10 ans et qu’une certaine Dalida apparaissait sur le petit écran en noir et blanc, chantant “Bambino” avec cet accent qui fera son succès. Nous sommes en 1956, elle est belle et brune, je suis un petit garçon timide, grave, solitaire. De ce jour je n’ai plus été seul et le lendemain je me précipitais pour acheter le disque – alors que je n,’avais pas encore ce fameux Teppaz ! – qui sera le premier d’une longue série de 45 et 33 tours en français mais aussi en allemand, anglais, italien, japonais, espagnol…Durant quelques années, je me suis ruiné en achats de disques et cette collection, aujourd’hui encore, est un de mes biens les plus précieux.
Deux ans après je pourrai la rencontrer à l’Opéra de Toulon où elle passe, grâce à mon père qui y à ses entrées. Une rencontre fulgurante car devant elle, je ne pourrai dire aucun mot et, dans sa robe de soie bleue, elle me sourira, m’embrassera et… passera, sans que je dise un mot et ne lui fasse signer les disques que je pressais contre moi.
Voilà. J’avais laissé passer ce moment tant attendu. Je m’en suis voulu de cette timidité maladive qui me fit rater la rencontre de ma vie ! Et il faudra que j’attende quelques années pour pouvoir enfin la revoir et… lui parler !
Je venais d’avoir 18 ans
Vers 15/16 ans, je commençais à avoir le droit de sortir. J’avais, bien entendu, adhéré au club Dalida, je connaissais donc tout son emploi du temps et j’avais fait la connaissance d’autres fans toulonnais, marseillais, niçois. On se rencontrait pour parler de notre idole, s’échanger photos et documents et on allait la voir ensemble lorsqu’elle passait dans la région. Nous arrivions toujours à l’apercevoir quelques minutes, soit à son arrivée, soit après le spectacle car, contrairement aux artistes d’aujourd’hui, elle réservait toujours un moment à ses fans après le spectacle. Elle était toujours adorable et très près de nous. Et selon le lieu, surtout l’été, elle nous permettait d’assister aux répétitions. Un jour – j’avais alors 18 ans mais aucun rapport avec la chanson ! – elle passe à Marseille. Nous savions qu’elle descendait, comme tous les artistes d’alors, à l’hôtel Noailles, l’hôtel le plus sélect de la ville. C’est donc là qu’avec deux autres amis, nous nous pointons vers 17h, heure à laquelle elle arrive avant d’aller répéter. Et la voilà, belle, souriante, commençant à reconnaître nos visages car elle nous voit partout dans la région. elle vient vers nous, nous embrasse et nous demande un moment pour aller déposer ses affaires et revenir nous voir.
Ce qu’elle fait une demi-heure après, tenant sa promesse. Nous nous installons avec elle dans le salon de l’hôtel et elle nous parle de ses projets, nous pose beaucoup de questions sur nous et bien évidemment, passera un bon moment à signer photos, albums, disque et… j’aurai enfin ma première photo avec mon idole… Et quelle photo ! Inutile de vous dire qu’elle restera longtemps punaisée en poster dans ma chambre et que je garde encore ce souvenir inoubliable dans ma tête… Je suis sur un petit nuage.
Mais le plus beau souvenir se déroulera quelques mois après. Je suis à Nîmes et je l’attends avec mes amis devant l’entrée des artistes. Elle arrive, nous embrasse, nous fait entrer dans les coulisses et nous invite à son spectacle… Aujourd’hui, allez chercher un artiste qui peut ou veut faire ça !
Après le spectacle, on se retrouve dans sa loge, on fait les photos, on a droit aux bises et aux dédicaces et elle me dit : “Tu rentres à Toulon ?”. Je lui avoue que non, que je vais certainement – comme nombre de fois ! – dormir sur un banc, attendant le premier train du matin. Elle s’affole, commence à me gronder : “Mais tu es fou, c’est dangereux ! Et tes parents, le savent-ils ? Evidemment, mes parents ne savent même pas que je suis si loin de Toulon. Et là, elle me dit : “Bon, je ne peux pas te laisser là. Je dors à Marseille, je t’emmène.”
Et me voilà dans sa Mercedes, elle devant avec son chauffeur et moi derrière, humant son parfum et voyant en ombre son profil qui se détache dans la nuit. Elle me parle, timidement je lui réponds et je me dis que je ne donnerais pas ma place pour un empire ! Inquiète, elle m’a laissé sur la Canebière où je suis certainement rentré en stop. Je dis “certainement” car j’avoue que je ne me souviens plus vraiment de ce qui s’est passé après !
Une petite étoile
Deux ans passent. J’ai donc 19 ans, je commence à gagner ma vie en petits boulots…Ma paye passe en disques et magazines et voyages vers mon étoile. Je lis alors une annonce dans Var Matin : “Cherchons jeunes pour création de pages jeunes”. Nous sommes en 65, la période “yéyé” explose et si j’aime toujours autant Dalida, j’apprécie également tous ces artistes qui pointent leur nez et leur voix. Ecrire est ma seule passion et être journaliste… pourquoi pas ? Un métier plaisant qui m’aidera à rencontrer tous ces artistes.
Bien entendu, je n’attendais que la venue de mon idole… qui arrive enfin dans la région. Ayant pris rendez-vous avec sa secrétaire et cousine Rosy, que je ne connais encore que par téléphone, je me pointe au concert. Elle me reconnaît, m’embrasse et s’excuse aussitôt : “Désolé, je te verrai plus tard car j’ai rendez-vous avec un journaliste de Var Matin…”
Je lui réponds : “C’est moi” !
Elle a un moment de surprise puis se met à rire : “Mais que veux-tu que je te raconte ? Tu connais ma vie mieux que moi !”
Evidemment, tout se passera le mieux du monde et ce n’est pas parce que je suis un journaliste en herbe que je n’ai pas porté mes disques à signer… Avec une nouvelle photo en sus ! Il y aura bien sûr beaucoup d’autres rencontres. Nous deviendrons amis, j’apprendrai à connaître son entourage, Orlando et Rosy, celle-ci me sera précieuse pour nos rencontres futures. Et j’apprendrai aussi à faire avec les hommes de sa vie, surtout durant la période du Comte de St Germain avec qui j’aurai du fil à retordre, tant il est jaloux, mal embouché et mal élevé… A cause de lui, durant deux ans je ne pourrai approcher de ma vedette !
Par contre, je suis devenu ami avec Orlando, avec qui je continue de collaborer. Il s’occupe de ma copine six-fournaise Hélène Ségara. Quant à Rosy qui, lorsque Dalida disparaîtra, travaillera avec Charles Aznavour, grâce à elle je ferai la connaissance de cette grande star… aujourd’hui parrain de notre magazine. Bien sûr j’aurais mille anecdotes et des centaines de photos à vous montrer. J’ai d’ailleurs écrit un livre* sur ce chemin parallèle mené avec Dalida jusqu’à la fin puisque notre dernière rencontre a été pour la sortie du film “Le sixième jour”. Je ne savais pas alors que, quelques mois après, elle nous quitterait…
A sa manière.
Jacques Brachet
Photos : J et M Brachet