Accueil Articles [Articles] block 2 Huster et Perrin Linterview

Huster et Perrin Linterview

23

Dans “Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux”,Alceste hait l’humanité toute entière, y dénonce l’hypocrisie, la couar-dise et la compromission. Mais il aime pourtant Célimène, coquette et médi-sante. Le vertueux se lance ainsi dans des combats perdus d’avance qui l’accu-lent à la fuite… Molière y critique les mœurs de la cour,l’hypocrisie qui règne dans cette société du paraître, où les comportements frisent la parodie. 

“Sur quelque préférence, une estime se fonde, et c’est n’estimer rien, qu’estimer tout le monde.”

(Alceste, acte I, scène I) 

L’an dernier, ils avaient un peu désar-çonné le public avec ce Dom Juan très li-brement adapté, du moins dans la mise en scène, mais nous prouvant la moder-nité du texte de notre bon Jean-Baptiste. Que vont-ils nous offrir cette année ? “Le Misanthrope”, donc…

“Tu te rends compte m’avoue Perrin alors qu’on se connaît depuis le Conservatoire,nous n’avions jamais joué en-semble. Et de plus il a fallu Francis pour que je sorte de ma retraite.”

C’est-à-dire ?

J’avais décidé de ne plus jouer sur scène et surtout de ne plus faire de festivals, mais j’ai repiqué au jeu et grâce à ce fou d’Huster qui m’a proposé le rôle de Sganarelle. Et la encore j’ai dit oui parce que j’aime l’homme, j’aime jouer avec lui.

Il me semble que tu m’avais dit que tu ne jouerais jamais “Dom Juan”.

Je pensais faire de même… et j’ai fait comme Périer ! Mais que ce soient Dom Juan ou le Misanthrope, ce sont quand même des chefs d’oeuvre absolus. Molière a mis beaucoup de lui dans cette le rôle d’Alceste que dans celui de Philinte.

Alceste est un personnage terrible, incroyable, qui nous fait émeut en même temps, plus par ses défauts que par ses qualités. Il est tellement contemporain !

Alors tu l’as monté voici quelques années et tu as joué Alceste, aujourd’hui tu joues Philinte…

Oui c’est un personnage que je n’avais jamais abordé et lorsque Huster m’a demandé de rejouer avec lui et d’endosser ce rôle, j’ai tout de suite dit oui. C’est aussi simple que ça.

Comment vois-tu ce rôle ?

Il voit leschoses, il les ressent et les relativise avec philosophie. Il a cette maturité qui fait le contrepoint avec l’excessivité d’Alceste. Je le ressens car c’est un homme qui a vécu et, avec le poids des ans qui vient, hélas, avec les épreuves de la vie, je le comprends d’autant mieux.

Huster nous avait offert un “Dom Juan” assez particulier. En est-il de même pour “Le Misanthrope” ?

Evidemment, c’est la patte “Huster” et il fait de cette pièce quelque chose, peut-être de moins classique mais de plus humain, de plus romantique. D’ailleurs, c’est un texte fort, ce n’est pas une comédie pure mais plutôt une comédie de caractère. Il montre qu’aujourd’hui encore on peut trouver de la modernité dans ce texte, donc il enlève costumes et perruques et c’est une vue de l’œuvre de Molière simple et directe qui permet de faire ressortir le caractère des personnages”.

Durant les répétitions de “Dom Juan”, il n’y avait pas plus à l’opposé que les deux Francis : alors qu’Huster comédien et metteur en scène était très tendu, le Perrin riait, sautait, grimaçait, on ne peut plus… détendu. Mais je l’ai connu dans les mêmes inquiétudes lorsqu’il était met-teur en scène ! Huster,avant d’être Dom Juan,a été Sganarelledu temps oùWeber, autre ami de conservatoire, présidait aux destinées du théâtre de Nice et jouait, lui, le rôle titre.

“Je l’ai aussi joué à la Comédie Française et avec la compagnie Renaud-Barrault et cette année,date anniversaire de la mort de Louis Jouvet (60 ans) je voulais rendre hommage au patron”.

Aujourd’hui, tu es devenu un habitué de ce festival, tu en es un peu le parrain et tu y reviens chaque fois avec plaisir.

“On ne peut venir ici qu’avec plaisir car le festival est magnifique, le lieu est magique, entouré de vrais arbres qui fré-missent et qui lui donnent un décor superbe et mouvant. Quant au public, c’est un vrai public populaire comme je les aime. Il est incroyable car varié et très attentif. C’est un bonheur total que de jouer dans un lieu pareil sous les étoiles et je pense qu’aujourd’hui ce festival est l’un des joyaux des tournées d’été des festivals en France”.

Retrouver Francis Perrin est toujours un grand plaisir car une amitié nous lie de-puis 30 ans. Il aura fallu un film “On s’est trompé d’histoire d’amour” de Coline Serreau et un bocal de confiture de châtaignes a fait le reste… On ne s’est pas trompé d’histoire d’amitié.

Et puis, “le père Perrin” a toujours quelque chose de drôle, de passionnant à raconter car ce beau, sympathique et populaire comédien, qui fut aussi réalisateur au cinéma, metteur en scène au théâtre,auteur,écrivain,responsabled’un théâtre puis d’un festival a toujours eu une vie à cent à l’heure… Passion oblige. Passion aussi pour Molière qu’il a joué tant de fois. Il a même écrit un livre “Molière, chef de troupe” (Ed Plon) sur cet homme qu’il vénère et dont il a beaucoup de points communs.

“Evidemment, les dialogues sont en grande partie de moi en dehors de quelques phrases de Molière que j’ai pu retrouver. Ils s’appuient sur des faits réels,ils sont tout à fait plausibles et puis, n’oublie pas que je suis un homme de théâtre qui pratique les comédiens, les auteurs et,depuis Molière,l’esprit n’a pas beaucoup évolué dans ce monde-là. Il fallait simplement que ces dialogues s’in-sèrent dans la façon d’être et de parlerde l’époque.

On y retrouve beaucoup de toi !

Je crois avoir beaucoup de points com-muns avec Molière : la passion du théâ-tre, de jouer,d’écrire. Je mets en scène, j’ai été chef de troupe et j’ai parcouru des kilomètres avec celle-ci… Je me re-trouve beaucoup en lui. De cette passion dévorante je connais les joies, les affres, les doutes, les succès, les échecs… Tout est toujours pareil pour nous…

Et puis, Molière, c’est le patron. J’ai de grandes affinités avec l’homme car, avant l’auteur et le comédien de génie, c’est l’homme que j’admire, celui qui fut un vrai chef de troupe, qui se préoccupe autant de ses comédiens que de son public et toutes proportions gardées, je me retrouve en lui.

Pour les deux, donc, Molière est important.

“On ne peut pas parler nous dit Huster de la Troupe de France sans parler du “Misanthrope” car c’est le chef d’œuvre des chefs d’œuvres, c’est la pièce la plus belle, la plus simple, la plus moderne. C’est comme “Hamlet” pour les Anglais et elle a été jouée dans le monde entier de différentes manières. Nous, nous al-lons présenter un Molière tragique car c’est une vraie tragédie et l’on sait com-bien Molière rêvait d’être un tragédien.

Quelle en sera ta vision ?

C’est un texte cinématographique, un texte d’amour romantique qui finit très mal. Et pour nous, acteurs, c’est magnifique car nous devrons vraiment nous mettre à nu devant ce public sous les étoiles avec lequel nous devons être très proches.C’est pour moi le plus beau texte de l’histoire du théâtre”.

Jacques Brachet