Ce mois-ci, deux livres retiennent notre attention. Philippe Besson poursuit tranquillement son bonhomme de chemin littéraire, explorant la « machine folle » de la haine paternelle. Jean-Jacques Schuhl met à nu ses « Obsessions » en cinq nouvelles tirées au cordeau.
Il y a, chez Philippe Besson, une capacité de franchissement. L’écrivain, qui travailla auprès de Laurence Parisot, ex-patronne du Medef, à l’Ifop, a un jour décidé de tourner la page et pas qu’à moitié. Une intuition folle, démesurée, mais à la hauteur de ce que cet homme est : un entomologiste de l’âme humaine. Depuis, il enchaîne les succès, depuis « En l’absence des hommes », qui le propulsa immédiatement au-devant de la scène littéraire. Dans son dernier opus, « La maison atlantique », Philippe Besson revisite les trois lieux fondateurs de la tragédie, dont il est un passeur éclairé : le lieu, l’espace et l’action, se mêlant au fil de la construction de l’histoire. Racontant à sa manière, simple et tonique, violente mais jamais sanguine, le parcours d’un jeune homme passant de l’hostilité à peine contenue envers son père et une haine pure et assumée, il offre un roman tout en nuances et d’une violence d’autant plus vicieuse qu’elle reste toujours contenue, froide. « J’ai souvent repensé à la mise en place du piège qui allait se refermer sur nous. A cet étrange ballet à quatre, dans lequel parfois s’immiscait un étranger (…). Nous aurions pu facilement tout empêcher mais aucun d’entre nous n’a pris la décision d’arrêter la machine folle. Aucun d’entre nous n’y a songé », écrit le romancier. Dans un style léger et efficace, Besson, romancier des sentiments, nous fait le récit d’une vengeance qui paraît, progressivement, inéluctable.
Schuhl, l’obsession du mot
Jean-Jacques Schuhl va à son rythme. Il aime les ouvrages ciselés, l’écriture ouvragée, respectueuse de l’intériorité sonore du phrasé. Il aime mélanger le quotidien banal dans des phrases jamais indifférentes. Obsessions, le titre fait référence à un poème de Baudelaire. Il sort son cinquième livre en quarante ans. Cinq nouvelles, 147 pages. Il dit lui-même qu’il aime prendre le temps, que l’écriture ne se décrète pas, qu’elle vient à lui et qu’il suffit qu’il soit prêt à la recevoir. Quand la magie opère, il s’entoure de poésie, « pour garder une certaine musicalité », confiait-il récemment au journal Libération. Son style oscille entre expressions faciles (piochées dans la presse ou la BD) et sens maniaque du mot. Des cinq nouvelles s’extirpent des sensations que le souvenir entoure d’illusions. Schuhl laisse le lecteur démêler l’écheveau, de sa chambre aux salles de cinéma, de faits réels en phantasmes dévoilés. Il y a chez lui du Jean Eustache, du Jarmusch ou du Andy Warhol, une écriture empreinte d’irréalité, de nostalgie, d’une imperfection parfois assumée, nourrie d’oralité.
La noirceur n’est jamais noire, elle garde toujours auprès d’elle la lumière en suspens. Ce maniaque du mot ferraille avec la recherche de la vérité, du dévoilement sensible, de l’émotion nommée, carrée, sanctifiée. Et y réussit plutôt bien. Dans l’univers littéraire, la rareté de Schuhl suscite autant de curiosité que ses livres.
Stéphane Menu
Crédit photos : Maxime Antonin – J. Sassier
Philippe Besson, « La maison Atlantique », roman. Julliard. 19 euros.
Jean-Jacques Schuhl, « Obsessions », nouvelles. Gallimard. 15,90 euros.