63 000. C’est le nombre de cabines d’ascenseurs à New York. L’endroit où des dizaines d’âmes se croisent sans réellement se connaître. 53 d’entre elles sont actionnées manuellement. L’une de ces machines a marqué Marc Lévy. Il a imaginé qui sont les personnes qui s’y croisent chaque jour. L’histoire d’ « une fille comme elle » est, en surface, celle de tout un immeuble. Son liftier Indien, Deepak, a quitté son pays d’origine pour fuir le système des castes et se marier. Son riche neveu Sanji débarque de Mumbaï, à sa plus grande surprise. Une jeune femme ne laisse pas l’entrepreneur indifférent. Chloé vit avec son père, au dernier étage. A ces divers personnages, se mêlent de nombreux voisins. Les emplois des liftiers sont menacés par l’apparition d’un ascenseur « automatique ». Chloé la première va monter au créneau et fustiger ce projet. Elle se heurte vite aux refus des voisins mais ne lâche rien. Malgré lui, Sanji sera aussi au coeur des problèmes. Pris dans cette intrigue, le lecteur oublie que Chloé est en fauteuil. Cela tombe bien, c’est exactement ce que voulait Marc Lévy.
Cet ascenseur et ce liftier existent. Racontez-nous.
Je suis monté dans cet ascenseur. L’homme qui était aux commandes me fascinait. D’abord, parce que c’est un métier qui n’existe presque plus. Cela paraît facile comme cela mais faire arriver les passagers en douceur c’est tout un art. Il ne suffit pas de tirer sur la manette. Il entend tous les jours la vie des voisins, j’ai voulu m’intéresser à la sienne. De même, lorsque je vois une belle façade, je deviens très curieux. Je me demande quelles sont les personnes qui vivent derrière. La magie du romancier, c’est de pousser les portes de l’immeuble. Observer les gens pour les comprendre, cela me passionne. Je veux voir toutes leurs petites failles pour en faire ressortir une lumière.
La deuxième chose que j’ai voulu mettre en avant, c’est la différence. Tous les personnages ont leur propre caractère et leur propre physique. Sanji est Indien comme Deepak mais leurs modes de vie n’ont rien à voir. Chloé et Lali sont deux femmes pétillantes mais l’une des deux est en fauteuil. Cela ne veut rein dire. On a tous besoin de faire exister notre différence. La façon dont la société la perçoit nous rend heureux ou malheureux. Elle peut être un complexe comme une fierté. C’est ce que montre Chloé.
En quoi le titre « Une fille comme elle » la désigne?
Il s’agit d’une fille comme les autres, avec ses particularités. En 400 pages de roman, Chloé a su embrasser et affirmer sa différence. Sans se rendre plus exceptionnelle que les autres. Elle est une femme à part entière, parce qu’elle s’accepte. A la fin du roman, certains lecteurs ont oublié son handicap car elle se démarque par beaucoup d’autres choses : sa gentillesse, sa pugnacité….
D’ailleurs, les personnages sont tellement différents que tout le monde s’identifier à l’un d’entre eux
Tout le monde non mais chacun peut se reconnaître un peu lui-même et créer ce lien très particulier qu’on établit avec un roman. Tous ces personnages arrivent avec leur caractère. Mon boulot est de montrer non pas qui ils sont mais ce qu’ils sont vraiment à l’intérieur. Chaque lecteur a son personnage préféré. Pour certains c’est Deepak, pour d’autres Chloé… C’est le propre d’un roman choral.
L’histoire se déroule à New-York mais vous mettez aussi l’Inde en avant.
Les deux villes sont liées. Je vis dans une Amérique qui a tendance à basculer vers le conservatisme. Du moins, il y a des oreilles très attentive à ce discours. Cela me fait penser à certaines politiques totalitaires du passé. Ce que les gens oublient, c’est que ces vieux régimes dont ils sont nostalgiques, ne sont pas si différents des castes d’Inde…
Pour la première fois l’un de vos romans est ponctué de dessins, réalisés par votre femme. Pourquoi ?
Ce sont ceux de Chloé. Au même titre qu’il y a des pages de son journal intime il y a ses dessins. Elle explique ce qu’elle vit par des mots mais aussi par des images.
Si je vous dis que je ne l’avais pas compris, comment réagissez-vous ?
Cela m’est égal. Ce qui important c’est ce que vous vous voyez. Chloé a fait ses dessins pour partager son monde avec vous. Je n’ai pas besoin de revendiquer cette idée pour qu’elle existe. Il n’y a pas une page de journal intime avant chaque chapitre, de même pour le dessin. Les éléments apparaissent librement et vous pouvez les interpréter comme vous le souhaitez.