Quand on parle du mérou, tous pensent à la réserve nationale de Port Cros. A juste titre d’ailleurs quand on voit comment ce poisson emblématique a reconquis des lieux qui lui appartenaient depuis l’origine des temps.
Pour avoir connu les fonds marins autour de l’îlot de la Gabinière en 1955 alors que j’étais plongeur au GERS lors de mon service militaire, les populations étaient encore nombreuses et ont commencé à chuter par la suite.
Je ne ferai le procès de personne, ni aux pêcheurs professionnels, ni aux chasseurs sous-marins…
Après et surtout sur l’initiative du GEM (Groupe d’Etude du Mérou) assisté de nombreux biologistes dont Patrick Lelong et mes amis Nardo Vicente du laboratoire des Embiez, Charles-Henri Bianconi, Patrick Mouton et bien d’autres, à été mis en place un moratoire de cinq années en interdisant totalement la pêche.
La nature reprenant ses droits, les mérous sont revenus nombreux.
Beaucoup à Port Cros et à Scandola en Corse mais aussi en bien d’autres lieux dont les Embiez et le Rouveau au large du Brusc, qu’il ne faudrait pas oublier.
Le dit moratoire de cinq années a été unanimement reporté à chaque fois.
J’en viens à mon cas personnel. Avant d’être scaphandrier professionnel à 20 ans en 1953, j’ai découvert le monde subaquatique en pratiquant la chasse sous-marine.
Et, naturellement quelques-uns de ces beaux poissons eurent à subir mes instincts d’homme, c’est-à-dire de prédateur.
Je m’empresse d’ajouter que ce n’était nullement pour un titre de gloire, celui qui vous fait se faire photographier un pied sur une tête d’éléphant ou un mérou de belle taille au bout de la flèche de son arbalète. Non ! Avec mes amis, tout aussi passionnés c’était, et c’est resté longtemps surtout, un plaisir gastronomique. Ajoutons que nous aimions partager la joie d’une dégustation conviviale autour d’une « tranche de mérou Marengo » avec les copains de passage.
Tant et si bien que l’hospitalité de notre table étant trop connue, certains s’invitèrent se glissant parmi notre cercle que nous voulions cependant restreint. Ce qui ne m’amusait pas plus que ça.
Ce qui finit d’ailleurs par ne plus m’amuser du tout le jour où sur l’île de Bendor, aux Voûtes, alors que nous nous régalions de ce noble poisson arrosé d’un rosé Tempier qui nous laissait émus, j’entendis une espèce de bourgeoise nordiste et bobo s’exclamer : “Pour du poisson c’est bizarre, on dirait du veau !”
Telles les écailles tombant des yeux de St Paul sur la route de Damas, je décidais que c’était fini, jamais plus jamais je ne flècherais un seul de ces braves poissons.
De ce jour je suis devenu un « repenti » comme on dit en Sicile.
Alors battant ma coulpe, je me suis mis à photographier les mérous de tous genres qui, entre temps grâce au moratoire, étaient en train de repeupler amplement les eaux des Embiez et du Rouveau.
J’en ai fait des photographies de ces braves pépères. Il y en a même une où l’on voit un mérou cohabiter avec un congre. Je suis même allé en Corse faire des plongées dans un club qui nous emmenait à Mérouville, un massif rocheux dans les bouches de Bonifacio où les mérous sont protégés par un accord tacite. Là, à peine à l’eau vous pouvez en voir sortir de partout.
Et découvrant que le GEM mettait à disposition des fiches de recensement, je me mis à participer à cet inventaire que je remettais à Patrick Lelong au laboratoire des Embiez.
En échangeant des propos avec lui, j’appris ainsi que certains des mérous identifiés avaient un nom. Ainsi celui qui voisinait avec le congre s’appelait Pedro !
Ne m’arrêtant pas en si bon chemin, continuant à pratiquer une repentance à la mode, je décidais d’en faire un comptage.
Je posais des questions à tous mes amis plongeurs et chasseurs sous marins, ainsi qu’auprès des pêcheurs du Brusc avec lesquels j’avais toujours entretenu d’excellentes relations, dont mon ami Léon Dodéro.
J’ajoutais aux résultats obtenus ceux que je connaissais, pour tomber sur un total d’environ 120 mérous dans les eaux de la prud’homie du Brusc. Ajoutant ceux plus discrets et inconnus, on pouvait en déduire une population d’environ 150 individus.
De quoi être content quand même. D’autant plus que pratiquant ces plongées de recherches à partir du bateau « Le Manon » de mon ami Didou, je constatais que lors des baptêmes de plongées nombreux qu’il pratiquait l’été auprès de jeunes adeptes à partir de 8/10 ans, il était courant de leur faire voir un mérou dans très peu de fond.
Ainsi, ils étaient revenus et, satisfait je pouvais cesser là mon acte de contrition et me retirer dans notre mazet Cévenol au pied du Mt Aigoual !
Gérard Loridon