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Pascal Boniface, Géopolitologue

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« Le sport est plus symbolique que l’Académie Française ! » Fou de foot, Pascal Boniface a eu à surmonter le scepticisme de ses pairs avant d’imposer le concept de géopolitique du sport. Il s’inscrit en faux contre l’idée du mauvais exemple véhiculé par le sport et affirme qu’il agit puissamment pour défendre les valeurs humanistes.

Pascal Boniface - Limpact

Intellectuel et passionné de foot, c’est donc possible ?
C’est une passion ancienne, qui remonte à loin dans mon enfance. Quand j’en parlais dans mon milieu universitaire, un grand scepticisme accueillait mes éventuelles propositions de recherches. Le sport était considéré comme un sujet d’étude frivole, je n’avais droit en retour qu’à des ricanements.

Le football, ou tout autre sport, peut-il rapprocher les peuples, mettre fin aux guerres ?
Non, le football n’a pas ce pouvoir. Par contre, il est indéniable que des rapprochements ont lieu, dans un cadre réglementé, celui du sport. Avant l’accord sur le nucléaire iranien, les délégations russes, irakiennes et américaines de lutte ont eu l’occasion de se croiser. Ce sont des officiels, même s’il n’appartient pas à un président d’une quelconque fédération de participer à la détente ou la crispation sur tel ou tel conflit. Les haines, parfois tenaces, s’apaisent. C’est ce que l’on appelle la démocratie du ping-pong, celle qui permettait aux Chinois et aux Américains de se parler lorsque la guerre froide était à son paroxysme.

Quels sont les moments où le sport va au-delà de ce qu’il représente ?
On peut multiplier les exemples. Le sport incarne une souveraineté nationale. On pense bien sûr à la coupe du monde de rugby en Afrique du Sud en 1995. Longtemps, le rugby a été le symbole de la pratique ségrégationniste dans le pays. Les Noirs ne jouaient pas au rugby. La manière dont Nelson Mandela a compris que l’évènement pouvait accélérer la politique de réconciliation dans le pays fut très intuitive.

Le sport a joué aussi un rôle de contestation dans les ex-pays du bloc soviétique ?
En effet, il y eut ces fameux matchs de hockey sur glace entre la Tchécoslovaquie et l’URSS en 1969, après le Printemps de Prague. L’équipe d’URSS dominait alors largement le hockey mondial, avec 17 titres de championne du monde entre 1963 et 1983 ! Mais, lors du championnat du monde de mars 1969 disputé en Suède, alors qu’il devait avoir lieu à Prague, le public allait assister à deux des matchs les plus mémorables de l’histoire du hockey tchèque et slovaque mais aussi international. Au cours du tournoi, l’équipe tchécoslovaque remporte ses deux matchs face à l’URSS dans un climat d’hostilité sur le terrain rarement perçu. Nous étions là dans un réel déplacement des crispations diplomatiques sur le terrain politique.

La coupe du monde de football vient de se dérouler dans un climat d’hostilité social, surtout en amont de la manifestation. Le sport permet-il d’endormir les revendications sociales ?
Bien au contraire. La célèbre formule de Marx sur la religion qui incarnerait l’opium du peule, étendue depuis à d’autres domaines, ne s’applique pas en l’occurrence. Au Brésil, il est clair que la coupe du monde a permis au contraire de donner plus de volume et de portée aux revendications sociales. Au Qatar, les conditions dans lesquelles travaillent les ouvriers immigrés, dont certains meurent sur les chantiers, sont mis en lumière par l’évènement. Et ce petit pays aux grands moyens, désireux de s’acheter une bonne image internationale, ne peut se permettre de tourner le dos à ces critiques.

Propos recueillis par Stéphane Menu