Chanteurs, musiciens, acteurs… Depuis plus de 50 ans, Patrick Carpentier côtoie les plus grands artistes. Tous ou presque sont passés devant son objectif : David Bowie, Elton John, Michel Sardou… Et bien sûr, Johnny Hallyday. Pendant 25 ans, il fut le photographe de scène officiel de l’icône du rock français. Rencontre avec un passionné qui ne compte pas ses heures.
Comment tout ça a-t-il commencé pour toi ?
Ça a commencé à l’école quand je devais avoir 12-13 ans. C’est parti d’un prof de français qui a eu une bonne idée, je pense, qui devrait se refaire un peu dans les écoles de manière à motiver les enfants. Il nous avait dit de venir avec un appareil photo et un magnéto, et il nous a envoyé par groupes de deux dans Paris pour interviewer et photographier qui on voulait. Ça pouvait être le boulanger comme le boucher, comme n’importe qui, un homme politique, un artiste. Et moi, j’avais choisi à cette époque-là l’aviation, donc j’avais rencontré tous les plus grands pionniers de ce secteur, le patron de Mermoz, de Saint-Exupéry, Adrienne Bolland, la femme de Farman, Madame Guillaumet. J’avais, en plus de ça, fait une exposition à l’école et je les avais tous fait venir avec les photos, interviews et tout. Ça avait même fait beaucoup de bruit dans la presse puisque France Soir avait publié tout un article à ce sujet, à l’époque.
Pourquoi la photo de scène ?
J’avais fait un autre truc sur l’Opéra de Paris mais ça m’avait un peu plus gonflé donc je n’y suis pas resté trop longtemps et en rentrant chez moi je suis passé devant l’Olympia. À ce moment-là, il y avait Marcel Amont qui faisait deux mois et demi d’Olympia, c’était au début des années 70, aujourd’hui ce serait impossible. J’étais gamin, j’avais 12 ans donc on ne m’a pas viré. Marcel Amont m’a présenté Aznavour, Bécaud m’a pris comme le petit de l’Olympia, on m’a présenté Bruno Coquatrix, bien sûr, c’était incontournable puisque c’était le directeur de l’Olympia. Il m’a fait un badge qui était attitré à l’année, même pour les concerts privés. J’ai photographié des concerts de Johnny réservés à des gens fortunés : aucune image de ces soirées n’est parue dans la presse, j’étais le seul à faire les photos.
La photo de scène : facile ou plutôt compliquée à réaliser ?
La difficulté à l’époque, c’étaient les émulsions. Toute la période amateur, c’était assez compliqué car les émulsions étaient très mauvaises pour faire de la photo de scène, or j’avais choisi cette direction-là. La photo de scène, les artistes, puisque j’aimais bien la musique. On n’avait pas de pellicules sensibles, elles sont arrivées dans les années 80 où on pouvait monter à 400 ASA, 1600 ASA, après il y a eu 3200 ASA. Pour ceux qui ne savent pas, c’est la sensibilité de la pellicule. Ce qui nous permettait de travailler avec des optiques qui étaient un peu moins chères que les autres, qui avaient une ouverture de diaphragme à 2 ou 2,8 et de travailler également avec une faible lumière.
Et puis à l’époque, il n’y avait pas de lumière de scène. Reggiani, Sardou ou Johnny, tous avaient une poursuite en façade, ça leur faisait des poches noires sous des yeux ; et sous le contour du visage, ça faisait tout noir. C’était horrible, c’était un fromage blanc le truc. Après sont arrivées les lumières à la Claude François, à la Johnny, du concert américain où là, on mettait plus de budget dans la lumière.
On dit que Jacques Rouveyrollis, c’est l’inventeur de la lumière en Live.
Oui.J’aime beaucoup Jacques. C’est là où ça a vraiment commencé à changer le métier de photographe de scène parce qu’à l’époque, c’était un photographe qui s’appelait Jacques Verrier qui était photographe de l’Olympia. Il faisait les photos de tous les artistes qui passaient là-bas : Brel, Piaf… et tout à la chambre. C’est-à-dire qu’il tenait la chambre sur son épaule. La chambre, pour ceux qui ne savent pas, c’est un appareil photo avec un soufflet qui se déplie et qu’on utilise très souvent en studio pour faire des images de très grand format. Et bien lui, il prenait les photos de l’Olympia avec ça donc c’est sûr que moi avec mon petit boîtier à 10 balles, je ne pouvais même pas imaginer arriver à la hauteur de ce mec-là.
Le matériel a réellement changé après les années 80 ?
Oui, tant du côté du matériel que du côté des artistes d’ailleurs. Il y avait une préparation aussi bien au niveau de la tenue vestimentaire que de la coiffure, que l’éclairage. A tout niveau, ça a changé. Après, ça a commencé à évoluer dans tout ce qui était sensibilité de pellicule, matériel photo… De toute façon, la photo, soit on est bon, soit on est mauvais, il n’y a pas de moyen en photo, donc si tu fais 10 bobines et que tu fais du “fromage blanc” ou que ta pellicule est toute noire, tu n’as plus qu’à changer de métier. En plus, à cette époque, il y avait l’Olympia, Bobino et rien d’autre. Les Zéniths n’existaient pas, Bercy n’existait pas, les salles de concerts en Province non plus. C’étaient des petites salles des fêtes et là, c’était un éclairage que tu mettais dans une boum. Et si tu ramenais une merde à l’artiste, il te demandait comment ça se fait que tu fais de la photo horrible comme ça et tu lui répondais que tu photographiais que ce qu’il y avait à photographier. Si tu mets du orange et bien ce sera orange. C’était les difficultés de la photo à l’époque.
Et les Zéniths, Bercy, sont une vraie avancée artistique ?
C’est Renaud qui a fait l’ouverture du Zénith de Paris. Avant le Zénith, ça s’appelait le Pavillon de Paris où Johnny est passé en 78, si ma mémoire est bonne. Ça a été transformé en Zénith à l’époque de Jack Lang. C’est lui qui l’a nommé Zénith et ensuite ils en ont fait un par grande ville. Johnny a fait le Zénith après Renaud. Après, il y a eu Bercy, et là c’est Julien Clerc qui a donné le premier concert à Bercy. Mais sinon, toutes ces salles-là n’existaient pas et quand tu allais en Province pour faire des photos d’un artiste, tu te retrouvais dans une salle des fêtes ou sous un chapiteau. Après, il y a eu la lumière du jour, les années 90 avec les stades… Alors là, on passe dans une autre dimension.
Quand on parle de l’Olympia, on est pratiquement dans une cuisine. Quand on parle du Zénith, on est dans un séjour et quand on parle d’un stade, on est dans le jardin. L’emplacement n’est pas le même pour prendre une photo, les scènes sont immenses…
Tout augmente, la difficulté augmente, parce que le contrat n’est plus du tout le même. J’ai toujours travaillé tout seul. Les assistants, je n’en voyais pas l’utilité mais il arrive un moment donné, si on te demande de faire un Stade de France, c’est pas du tout pareil. Il arrive que tu n’aies qu’un soir pour réaliser la pochette du disque, mais il va toujours manquer à la pochette du disque la photo que tu n’as pas prise. Donc pour reprendre l’exemple du Stade de France, tu es obligé d’avoir une équipe de photographes avec toi parce qu’il te faut les grands angles, tu sais que les feux d’artifice vont démarrer à tel endroit, les effets de scène à tel endroit, il te faut des ambiances de public parce que quand ils vont faire la pochette, ils vont te demander la photo que tu n’as pas, bizarrement. Et là, ce n’est plus pareil, ce n’est plus de la photographie d’un seul personnage, et c’est à ce moment-là qu’il faut que tu aies une équipe en laquelle tu puisses avoir une confiance totale.
Travailler avec des Français et travailler avec des Anglo-Saxons…
Ce n’est pas pareil. Les Anglo-Saxons, ils sont là, ils viennent faire leur concert, un point c’est tout. Maintenant, ils peuvent très bien aimer une image. Ils vont tomber sous le charme d’un photographe, mais ils sont business. L’heure, c’est très important pour eux. Chuck Berry, quand il venait faire ses concerts en France, il arrivait à telle heure, il montait sur scène et que tu sois prêt ou non, il n’en avait rien à faire. L’heure c’est l’heure, il montait sur scène et ne faisait le rappel qu’après avoir regardé discrètement sa montre. Si le temps imparti touchait à la fin, il partait sans le faire. Donc tout le monde se demandait ce qui se passait. Mais il faut savoir que les Anglo-Saxons, quand ils ont pris une décision, c’est irrévocable, même celle de quitter la scène : je l’ai vu faire avec un artiste qui était vexé parce qu’il s’était passé quelque chose dans le public, il a posé le micro par terre et s’est tiré. Tu n’as pas de suite, il revient dans la loge, monte dans la voiture, terminé. Les Anglo-Saxons sont comme ça. Et comme ils se font payer avant, ils s’en fichent.
C’est business et précis ?
Elton John, lui, va te dire : “Bon, je t’accorde deux minutes” et il s’y tient. Si tu veux entamer la troisième minute, ton appareil photo va voler en éclats. Parce que les mecs de la sécurité sont payés pour faire respecter la phrase qu’il a dite. C’est comme ça que ça se passe, mais il n’y a pas que lui. Par contre, après, tu passes dans la phase “pote” et dans ces cas-là, il y a un peu de complicité. Par exemple, j’ai fait le mariage d’Annie Lennox, du groupe Eurythmics. Là, tu fais ce que tu veux. Parce que c’est elle qui te demande, elle a confiance en toi, et tu fais toutes les photos que tu veux.
A l’heure actuelle, c’est différent ?
Ce que je pense aujourd’hui de la photo de spectacle, c’est que c’est la fin d’un métier parce qu’on va vers une communication beaucoup plus rapide par la vidéo, par les réseaux sociaux, par internet, photos sur les smartphones, donc on fait de moins en moins appel aux photographes professionnels. Les gens se disent qu’ils se débrouillent très bien avec les photos qu’ils font sur leur téléphone et ils ne voient pas pourquoi ils iraient plus loin. Aujourd’hui, avec ce qui nous tombe dessus, cette histoire de Covid19, c’est la cerise sur le gâteau. Mais ça ne touche pas que notre profession, ça va toucher la vidéo, la musique, tout l’événementiel.
C’est un changement de société complet qui s’annonce.
Oui, et puis les entreprises vont se dire que finalement, le télétravail, c’est pas mal. Parce qu’au lieu de prendre des bureaux de 400 m2 on va faire ça à la maison. Et vous allez tous bosser de chez vous, comme ça, on ne paiera pas de loyer. Il va y avoir une mutation, je cherchais le mot, c’est une mutation.
Dans l’intimité
Ton plus beau rendez-vous ?
Je dirais… Bon il y a eu Annie Lennox : son mariage, c’était un beau rendez-vous. Sinon, Johnny Hallyday et James Brown étaient aussi de très beaux rendez-vous. Il y en a eu pleins en fin de compte.
Le rendez-vous que tu as manqué ?
J’ai manqué celui d’Alain Delon, mais pas par ma faute. C’est tout simplement qu’il s’était séparé de son photographe, moi, j’avais été présenté à Alain Delon par un de ses amis, il m’a fait appeler. Je peux même te dire que c’est Frédéric François qui m’a appelé en me disant : “Patrick, il faut que tu appelles tout de suite le bureau d’Alain Delon parce qu’il veut faire une séance photo avec toi”. Entre-temps, le photographe qui s’était fait jeter a refait de la lèche à Alain Delon pour retravailler avec lui. Il l’a repris.
Le rendez-vous que tu aimerais avoir ?
J’aimerais bien faire certains acteurs américains. En France, Gérard Depardieu.
Strass et paillettes ?
C’est l’endroit interdit qui me plaisait. Mes copains découpaient les magazines pour afficher les stars dans leur chambre, moi je travaillais avec et je ne pensais même pas à leur demander un autographe. A l’époque, les artistes s’exposaient très peu au public, on les approchait pas… c’est comme ça qu’on fabriquait des stars.
Johnny, 25 ans d’aventure ?
J’ai travaillé avec les plus grands artistes français et étrangers : David Bowie, Tina Turner, Elton John… et un jour, on m’a proposé Johnny Hallyday. Il a adoré mes photos. Il avait déjà plusieurs photographes à son service, mais il m’a engagé pour shooter ses concerts. On était dans les années 80, notre collaboration a duré 25 ans. J’étais à sa disposition, son agent ou lui m’appelait et je devais y aller. Il était assez exclusif et pouvait se montrer jaloux quand j’étais avec d’autres artistes.
Ta touche personnelle ?
Je suis un photographe de live, de scène. La photo de studio, ça me branche pas, c’est plat, la scène c’est difficile, c’est un challenge, gérer les lumières, les optiques, les cadrages… Avec Johnny Hallyday surtout, ce n’était pas de la photo posée, genre Enrico Macias assis derrière un micro. Bien au contraire, il y avait du mouvement, c’était vivant.
Des secrets bien gardés ?
Je partais en tournée avec les artistes, on passait des nuits à discuter, je faisais parfois office de psy. Tous sont devenus des amis, je vais chez eux en vacances, je connais toute leur vie… Et si j’ai tenu aussi longtemps dans le métier, c’est en partie parce que j’ai toujours su garder leurs confidences secrètes.
Une vie trépidante ?
Les tournées avec les artistes, les comédies musicales, Notre-Dame de Paris, Cindy, Don Juan… les photos de mannequins de l’agence Elite. Je n’arrêtais pas, je pouvais prendre l’avion jusqu’à dix fois par mois. Professionnellement, c’était une vie de rêve. En revanche, personnellement, ça m’a coûté mon couple.
1400 personnalités immortalisées ?
Carrément plus que ça. Mon nom circulait entre les artistes, du bouche-à-oreille. J’ai travaillé avec Céline Dion grâce à Garou, elle est très accessible, très star system, elle sait poser. J’ai fait les photos du mariage d’Annie Lennox grâce à Elton John. Je suis arrivé à la mairie, je ne la connaissais pas, je me suis même trompé de mariage sur le coup, mais quand j’ai vu débarquer les limousines, j’ai vite compris. Et James Brown qui a traversé l’Atlantique depuis Los Angeles pour une séance photo avec moi. Il aurait pu avoir n’importe quel photographe. Non, il me voulait, moi. Ça me mettait une de ces pressions.
Des politiques people ?
Ils se prennent pour des stars, ils adorent se voir dans les magazines. Mais c’est pas de la photo, c’est de la chasse à l’image, il faut capturer un moment. Et puis, on est de passage, on ne travaille pas directement pour eux, mais pour l’agence chargée de leur communication.
Metteur en scène ?
Les stars peuvent se montrer très timides. Monter sur scène et se retrouver face à face avec un photographe, qui dirige tout, l’éclairage, le maquillage, la gestuelle… ce n’est pas évident. L’artiste n’est plus maître de ce qui l’entoure, il perd le contrôle.
Des photos grand public ?
Le monde artistique a tellement changé, ça m’intéresse moins. Le showbiz, les concerts… à un moment donné, on sature. Et les particuliers ont aussi le droit d’avoir de belles photos. Reste qu’il y a des préjugés sur les tarifs que je peux pratiquer, pourtant je ne coûte pas plus cher qu’un autre photographe professionnel.
Nostalgie d’une époque ?
Mes enfants m’ont vu travailler avec les plus grands, voyager dans le monde entier, être de toutes les soirées… mais ce monde-là n’existe plus. Aujourd’hui, chacun s’improvise photographe avec son téléphone… Et avec Photoshop, on peut tricher sur tout, on n’est plus dans le réel. Mon fils, ma fille, ont voulu faire ce métier mais je leur ai déconseillé.
La retraite ?
Je ferai toujours de la photo. Quand je travaille, je ne regarde jamais ma montre. Au-delà du métier, c’est une passion.
Que retiens-tu de la vie ?
C’est toujours compliqué et je pense que c’est pareil pour les artistes : il doit y avoir beaucoup de hauts et de bas. Mais ce que je retiens de la vie dans mon métier, c’est que j’ai parfois l’impression d’avoir fait des choses, d’avoir côtoyé des gens inaccessibles ; et en fin de compte, quand je regarde bien, je fais comme tout le monde : mon boulot.
La place de la famille dans ta vie ?
Houlà ! Malheureusement ça m’a valu un divorce. Bon ça va, les enfants sont toujours là. Notre métier de photographe d’artiste c’est un tue-l’amour, du moins c’est un tue-couple.
Les amis ?
C’est très factice, je dirais. Pourtant, il y a énormément d’artistes avec qui on dit que je suis ami. Mais ce n’est pas de l’amitié, je me tue à leur dire. Je dirais plutôt que c’est une relation de travail. Plus intime qu’une autre relation, mais ça reste une relation de travail très éphémère. Parce qu’un artiste, le jour où ça ne va plus pour lui, il envoie tout le monde sur les roses.
Les artistes ?
Un artiste peut profiter de cette soit-disant amitié pour te la faire à l’envers et te dire ensuite : “Oups, je ne savais pas qu’il fallait t’appeler pour donner une photo“, par exemple. L’artiste part du principe que si tu le photographies, la photo lui appartient. Eh bien non, il y a les droits musicaux pour lui et il y a les droits photographiques pour moi. Ils le savent, mais pour faire rentrer ça dans leur tête, ce n’est pas simple.
Que détestes-tu dans la vie ?
Je déteste tout ce qui se passe actuellement, toutes les choses qu’on est en train de modifier pour, quelque part, nous dire ce qu’on doit faire. On est en train de nous mener par le bout du nez et je déteste ça. Je déteste qu’on intervienne sur nos libertés.
La photo la plus folle que tu aies faite ?
Alors là, “joker !” parce que j’ai tellement fait de photos. Pendant plus de dix ans, j’ai également été photographe d’une grande agence de mannequins, Elite. Donc tu voyages constamment dans le monde entier. Aujourd’hui, c’est impossible, cette époque est définitivement révolue.
Avant, c’était sexe, drogue et rock’n’roll ?
C’était surtout sexe, pas drogue, je n’ai jamais essayé ça. C’était sexe et amusement.
Et maintenant, c’est gourmandise et canapé ?
Non, même plus, puisqu’aujourd’hui les boîtes de production ne te donnent même pas une bouteille d’eau. Avant, les boîtes de production que j’ai connues avec Louvin ou Charles Talar ou Marouani, c’était des buffets de folie. Charles Talar, pour Notre-Dame de Paris à Londres, avait transformé un grand parc de Londres en restaurant avec les spécialités du monde entier. C’était le soir de la première. Il avait fait décorer un Eurostar avec les cloches de la célèbre cathédrale et il n’était que pour nous, les artistes, les photographes… Aujourd’hui, c’est irréalisable. Si je montre les photos de cette soirée-là, on va me dire que ça se passait sur une autre planète.
Johnny et moi
Avec Johnny, c’est arrivé comment ?
Une première rencontre en 1972, une deuxième en 1980, et c’est à cette deuxième rencontre que je réalise plusieurs séries de photos sur deux ou trois soirs au Zénith de Paris et que nous commençons à travailler ensemble, à sa demande. De là, il me présente son chargé d’affaires Joël Devouges, qui me présente son attaché de presse Gilles Paquet, et ensuite le producteur de ses tournées Jean-Claude Camus. Notre collaboration va durer plus de 25 années.
Que retiens-tu de ces 25 ans ?
Avec lui, que du bon. 25 ans avec lui, ça marque. Il tournait tout le temps. Dès qu’il entamait un Bercy, il y restait 15 jours ou trois semaines, et après il enchaînait sur les tournées en province pour un an ou plus. Puis il enchaînait immédiatement sur un autre projet Bercy ou la Cigale ou le Parc des Princes ; et ça repartait pour un an ou deux dans toute la France, la Belgique, la Suisse et d’autres pays. Jamais de temps mort.
Dans les années 80, tout était plus simple. Les contrats avec les artistes, il n’y en avait pas, c’était à la confiance. Les contrats se faisaient uniquement avec les maisons de disque pour les pochettes ou tout autre produit. Avec Johnny, tu lui parlais d’un projet, il te donnait sa réponse de suite et ça se faisait. Avec les années 2000, tout a changé.
Quel est ton plus beau souvenir ?
Pour moi, avec Johnny, il n’y a pas eu qu’un bon souvenir, mais une multitude. C’est pour cette raison que j’évoquerais plutôt ma meilleure période avec Johnny, celle des années 80 et 90. Ces années-là, Johnny était au meilleur de sa forme. Ses concerts, c’était du Rock & Roll du début à la fin. Tu le vois d’ailleurs sur mes photos : lorsque Johnny montait sur scène à moto ou qu’il finissait un concert en pétant sa guitare ou en lançant son pied de micro dans la foule. Après les années 2000, il ne le faisait plus. Demande aux fans la période qu’ils ont le mieux aimée, et ils te diront la même chose que moi. Et donc pour moi, ce sont mes meilleurs souvenirs.
As-tu quelques anecdotes ?
Il y en a beaucoup, celles que l’on peut raconter, et celles que nous devons garder pour nous, précieusement.
Des exemples racontables, alors…
Johnny aimait beaucoup ses fans, et ils étaient toujours sur tous ses déplacements. Un jour, il fait une télé à Canal+ et une info lui arrive à l’oreille dans sa loge avant le début de l’émission. On lui annonce que le plateau de l’émission est blindé d’invités triés sur le volet et il apprend également que ses fans sont tous dehors et ne peuvent rentrer dans les studios, comme cela se fait d’habitude. Aussitôt, il fait passer l’info à Philippe Gildas : si ses fans ne rentrent pas sur le plateau, il ne fera pas l’émission. Ils ont poussé les murs, les fans se sont placés un peu partout, la plupart étaient assis par terre juste devant lui. C’était ça Johnny.
Un autre : un soir de concert en province, je me trouve sur scène derrière Johnny pour faire des photos d’ambiance de lui face à son public. Je ne me rends pas compte tout de suite qu’il m’a repéré et qu’il sait que je suis derrière lui. Arrive la chanson “ L’envie “ à la fin de son show, et là, il se retourne, et il m’interprète la chanson en face-à-face. J’ai pris deux photos pour immortaliser ce moment, mais il faut vraiment dire que c’était très impressionnant.
Un autre soir, c’était à Bercy, et Johnny venait juste de commencer son concert. Tout le public était assis, c’était la règle, personne ne devait se lever, sauf à la moitié du spectacle. Le service de sécurité était au-devant de la scène pour surveiller, quand tout à coup, un enfant de 12 ou 13 ans se lève et avance vers Johnny pour le prendre en photo avec son tout petit appareil. Et là, un gars de sécurité lui saute dessus et lui confisque son appareil. L’enfant repart à sa place les larmes aux yeux et encore très surpris. D’un seul coup, tout s’arrête, tous les musiciens s’arrêtent de jouer à la demande de Johnny, et le public commence à se poser des questions sur cet arrêt brutal du concert. À ce moment-là, Johnny arrive à la hauteur du gars de sécurité qui était devant la scène, et lui tape sur la tête avec sa guitare, en annonçant à toute la salle qu’il ne reprendra son concert que lorsque ce “gros con” aura rendu l’appareil photo à ce jeune garçon. Là encore, il ne pouvait y avoir qu’un seul artiste pour se comporter comme cela.
Johnny : un pur bonheur ?
Evidemment. Il n’y en avait qu’un comme lui. Tout le monde aimait Johnny. Le monde du cinéma, de la chanson, du théâtre, les musiciens, les chanteuses et chanteurs, et aussi les politiques, tous ont aimé Johnny. Pour beaucoup de personnes, cela aurait été un rêve, juste de le rencontrer ou lui serrer la main. Aujourd’hui, il est parti et le monde de la musique ne sera plus jamais le même. Je ne sais pas comment il aurait réagi face à cette épidémie de la Covid 19, mais il est certain qu’il aurait tourné comme un lion en cage, durant les confinements. Et terminer sa carrière comme cela aurait été une très grosse défaite pour lui. Il ne l’aurait pas supporté.
Pour ou contre
Le permis à points ?
Je suis archi contre parce que, pour moi, un diplôme qu’on a eu dans les années 70 reste un diplôme. Le permis à points, pour moi, n’est pas applicable. J’ai tous mes points encore, mais je trouve inadmissible qu’un permis permanent devienne un permis temporaire.
L’euthanasie ?
Je suis pour. C’est une question de dignité. Je pense que le gars sait qu’il va mourir. J’en ai encore eu l’exemple récemment. Le grand-père de ma compagne est allé voir son pneumologue. Il lui a annoncé un cancer foudroyant, qu’il n’en avait plus que pour six mois à vivre. Imagine ce qui se passe dans la tête du mec… C’est une peine de mort avec compte à rebours qu’on lui annonce. Dans sa tête, ça doit tourner en boucle. Pour l’instant, il vit normalement, mais il sait que demain, c’est “game over”.
Et enfin, les cons ?
Contre. Evidemment.
J’y crois, j’y crois pas
Les extra-terrestres ?
J’y crois un peu parfois : oui, parce qu’il y a des choses bizarres et qu’il est peu probable que nous soyons les seuls.
Tu aimerais être le premier photographe à prendre un extra-terrestre en photo ?
On est tous à l’affût d’un scoop. On en a un, d’extra-terrestre… Je ne l’ai pas encore pris en photo mais ça va venir puisque j’ai pris beaucoup de présidents en photo. Je dis ça, je dis rien mais j’ai quand même dit son nom, à moitié.
La vie après la mort ?
J’y crois beaucoup. On a inventé le fil à couper le beurre, il y a deux siècles, pendant des milliards d’années on a vécu à l’âge de pierre et d’un seul coup, en même pas cent ans, regarde l’accélération de notre évolution.
Penses-tu qu’un jour les êtres humains pourront vivre main dans la main ?
Non, je n’y crois pas. Ou alors, ce sera dans la douleur. Je ne dis pas que c’est impossible, mais ce sera très dur.
Le père Noël ?
Pour les enfants, j’y crois dur comme fer.
Préférences
Ton plat préféré ?
Je suis très Français. Moi, c’est steak-frites.
Ton moment préféré de la journée ou la nuit ?
Je n’en ai pas. Je suis un bosseur donc je ne m’arrête jamais.
Ton acteur préféré ?
Il y en a plein, j’adore les Américains parce qu’il n’y a pas photo : ils savent tout faire, et même au niveau musique.
Ton film préféré ?
J’ai adoré La Ligne Verte.
Ta chanson ?
Je n’en ai pas… Enfin si, il y a certaines chansons qui m’ont marqué plus que d’autres parce que c’est l’interprétation. Mais il y a tellement de chansons.
Un dernier mot ?
Par rapport à mon métier de photographe, le monde change tellement que maintenant mon truc c’est d’aller plus vers le privé. De donner plus de mon temps ou de ma profession de photographe pour que cela devienne plus accessible aux particuliers, plutôt que de toujours faire les stars et tout. J’adore faire les press-books, tous ces trucs-là, et c’est là-dedans que je me lance de plus en plus.
Propos recueillis par Isabelle Ferrière et par Manouk B.
Photos : Patrick Carpentier